Chaque été, de nouveaux phénomènes le rappellent : il y a urgence à agir pour enrayer le changement climatique. Et les entreprises ont leur rôle à jouer. Dans son plaidoyer intitulé Quand le sens bouscule la croissance, publié au printemps 2023, le think tank Entreprise & Progrès milite ainsi pour « penser des nouveaux modèles de croissance qui ne répondent pas à la logique du ‘plus’ mais à l’exigence du ‘mieux’ ».
Pour cela, les entreprises doivent s’attaquer au cœur du problème : leur modèle d’affaires. « Le modèle d’affaires est le point de départ de tout projet de croissance. Alors il faut prendre le sujet à sa source », insiste le think tank. Objectif : revoir les fondations pour bâtir une croissance plus durable.
Oser dépasser ses propres limites
Plus facile à dire qu’à faire, tant les entreprises ont pris l’habitude d’être frileuses sur le sujet. Sans forcément en avoir conscience. « Les entreprises cherchent à optimiser un modèle construit sur des bases productivistes et extractives », explique Colette Ménard, associée et directrice de la stratégie du collectif Stim. Le collectif intervient auprès de grandes entreprises pour les aider à repenser leurs modèles économiques et industriels en intégrant les enjeux environnementaux. Et leur faire comprendre que la stratégie des petits pas n’a plus lieu d’être. « Sans remettre en question les paramètres hérités des années post-révolution industrielle, les entreprises se trouvent rapidement bloquées, loin des objectifs posés par la réglementation ou leur propre stratégie RSE. »
Choisir sa méthode et ses outils
Les dirigeants peuvent compter sur différentes méthodes et outils pour les guider dans leur bifurcation. Entreprise & Progrès, soutenu par KPMG, a ainsi revu le célèbre Business Model Canvas, plébiscité par des nombreux entrepreneurs pour définir leur proposition de valeur. Le Business Re-Model Canvas qui en a découlé permet de bâtir un modèle économique « à impact ». Il prend en compte différents leviers à même de limiter les externalités négatives des activités de l’entreprise.
De son côté, Stim utilise « la méthode CK » (pour « concept » et « knowledge »), développée par l’École des Mines dont le collectif est issu. « Elle permet de surmonter les biais cognitifs et éviter les effets de fixation », précise Colette Ménard. C’est-à-dire s’affranchir des modèles existants pour innover comme si l’on partait d’une page blanche.
Se fixer des objectifs ambitieux
Une page blanche, certes, mais les penseurs doivent suivre un fil rouge. Afin de « faire réémerger de nouvelles offres plus pertinentes au vu des enjeux de transition environnementale », Colette Ménard demande à ses clients de plancher sur leur « vubéo » : la Valeur de leur entreprise, l’Usage du produit ou du service, le Business model, leur Écosystème et enfin l’Objet en lui-même. Cette réflexion à 360° doit être au service du futur désirable imaginé par les dirigeants. « Il doit être désirable sur tous les plans : économique, environnemental et du point de vue du client », souligne l’experte. Ceci afin de créer une émulation d’abord en interne autour de ce nouveau modèle d’affaires puis en externe auprès des consommateurs.
Pour mesurer le chemin parcouru, encore faut-il disposer des bons étalons. C’est pourquoi Entreprise & Progrès recommande de « créer un nouvel indicateur et des méthodes de comptabilité innovantes qui mesurent la croissance dans l’ensemble de ses dimensions, pas uniquement de façon quantitative mais également qualitative ». Exit la performance uniquement financière, d’autant que la réglementation renforcera bientôt les exigences en matière de reporting extra-financier.
Mobiliser les dirigeants
Afin de sortir de cette « approche financiarisée de l’innovation », il est donc essentiel d’avoir non seulement l’aval mais le soutien de la direction. Qui y trouve une certaine cure de jouvence. « Il s’agit de retrouver l’esprit entrepreneurial dans des entreprises qui ont glissé vers l’optimisation et la gestion des risques », analyse Colette Ménard.
Un soutien sonnant et trébuchant car « réinventer affecte l’organisation et les opérations de l’entreprise. Il faut une intention forte, de l’ambition qui constitue le réceptacle nécessaire pour cette démarche de réinvention. [Et qui] présente un coût, avec un impact sur les procédés, la nécessité d’éduquer les clients, etc. »
Innover vraiment
Une façon de mettre en danger l’existant qui s’avère in fine payante. « Les gains à la clé sont énormes », assure Colette Ménard. Elle cite l’exemple d’un fabricant d’emballages en verre qui cherchait à optimiser son produit afin de limiter son impact environnemental. Son idée initiale d’alléger les contenants permettait d’améliorer très légèrement son bilan carbone. Stim lui a proposé un autre produit, toujours en verre mais qui ne ressemblait plus du tout à l’objet d’origine tout en répondant aux besoins des utilisateurs. Bilan ? Un impact moitié moindre sur l’environnement.
« Au fur et à mesure des itérations, il y a une convergence vers un design dominant qui est la meilleure recette au vu critères d’optimisation, des technologies disponibles à ce moment-là et des contraintes, souvent posées de manière implicite dans la R&D« , observe Colette Ménard. Sortir de ce cadre permet aux entreprises d’innover de manière radicale, avec des gains tout aussi radicaux à la clé.
Une radicalité dans laquelle les entreprises seront bientôt obligées de s’inscrire, tant les réglementations les y poussent. Entreprise & Progrès souhaite même pousser encore un cran plus loin et « taxer les innovations et les productions qui ne contribuent pas positivement à la transformation durable du monde ou sont nocives pour l’intérêt général ». Le but ? « Encourager les entrepreneurs à s’inscrire dans un cercle d’innovation vertueux et à penser au-delà de l’aspect capitalistique. »