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Grégoire Mialet (C-Ways) : « Si vous voulez vraiment faire de la RSE, vous devez mettre en danger votre chiffre d’affaires »

Grégoire Mialet, fondateur de C-Ways
© C-Ways

On entend souvent que la RSE devient un argument business. Mais certaines entreprises l’ont malheureusement compris : s’engager vraiment est coûteux, alors que prétendre que l’on s’engage rapporte.

À l’heure où les alertes au greenwashing ont été lancées tous azimuts, on pourrait penser que la pratique ne séduit plus les entreprises. Les labels RSE et discours engagés prolifèrent : les marques deviennent-elles donc sincères sur le sujet ? Rien n’est moins sûr, s’inquiète Grégoire Mialet, fondateur de C-Ways. Celui dont l’entreprise utilise la data science pour identifier les tendances sociétales utiles aux acteurs de l’économie plaide ainsi pour davantage de régulation. Interview.

On présente parfois la RSE comme un levier de business pour les entreprises. Les données confirment-elles cela ?

Grégoire Mialet : Je n’irais pas jusqu’à dire que les politiques RSE constituent un critère de choix chez tous les clients. Certes, nous faisons partie des pays du monde où l’inquiétude vis-à-vis du dérèglement climatique est la plus forte, d’après le rapport World Worries d’Ipsos. Et contrairement à ce que l’on pense, il ne s’agit pas que d’une préoccupation de consommateurs CSP+ « écolos-bobos » ! Nos études montrent que ces considérations progressent le plus chez les classes moyennes, plus modestes, et rurales. L’écart se réduit et tout le monde s’accorde plus ou moins à dire qu’il y a un sujet environnemental. Quant à savoir si l’engagement est vecteur de business, il faut rappeler que les marques qui agissent coûtent plus cher. Dans le contexte économique actuel, une grande partie de la population n’a pas les moyens de se poser la question.

S’ils ne sont pas business, quels sont les avantages concrets pour les entreprises à élaborer de fortes politiques RSE ?

G.M. : Ils sont essentiellement stratégiques. Une marque pionnière sur le sujet environnemental va être identifiée par les consommateurs comme étant en avance. Elle devient leader. Et c’est important. Prenons le cas de Danone et Nestlé. Alors que Danone, sous l’impulsion de son ancien président-directeur général Emmanuel Faber, a adopté un rôle de précurseur en la matière, Nestlé s’est enfermé dans une posture de refus, de contestation. En termes d’image, impossible de combler le décalage avec la concurrence.

Malgré cette bonne image véhiculée par Danone, les actionnaires du groupe n’ont pas hésité à évincer Emmanuel Faber…

G.M. : Emmanuel Faber a essayé de faire ce qui devrait être normal, en tant qu’industriel. Mais pour les parties prenantes, c’était déjà trop. L’équation est difficile et l’on voit bien qu’il s’agit avant tout d’un enjeu de communication plus que de production.

Constatez-vous des dérives à ce sujet ? Les arguments de communication prennent-ils le pas sur les actions ?

G.M. : Il y a beaucoup de dérives… y compris chez nos clients ! Il faut le dire, le greenwashing n’est pas mort ! Les entreprises vont le contester mais les collaborateurs s’en rendent bien compte. Ils en sont, d’une certaine manière, prisonniers, victimes. Les engagements ne sont pas calculés de manière scientifique, les données ne sont pas analysées, les efforts ne sont pas significatifs. De nombreuses organisations préfèrent verdir les discours plutôt que les actions. Et c’est compréhensible : les pictogrammes ou les labels affichés sur les packagings sont de bons arguments marketing, cela fonctionne.

Pourquoi, dès lors, ne pas aller au bout de la démarche et joindre les actions au discours ?

G.M. : Parce que cela coûte plus cher ! Et que l’impact pourrait donc être négatif pour l’entreprise. C’est une équation économique : si vous ne parlez pas de vos engagements, vous serez blacklisté. Si vous agissez vraiment, vous ne serez plus compétitifs en termes de prix. La solution : dire de jolies choses… et ne pas les faire. C’est ainsi : si vous faites vraiment de la RSE, vous mettez votre chiffre d’affaires en danger. Le consommateur n’a pas la capacité ni le temps de vérifier les discours de toutes les marques. Résultat, elles peuvent dire ce qu’elles veulent. C’est extrêmement dommage pour les entreprises qui s’engagent vraiment et qui sont noyées par celles qui ont simplement un bon service de communication.

Quelle serait la solution pour endiguer le phénomène ?

G.M. : Il faudrait une régulation sur le sujet. La Commission européenne s’en empare, mais la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) devrait aussi intervenir et interdire la mention d’arguments verts s’ils ne sont pas prouvables scientifiquement. Il est temps d’appliquer à l’environnement les règles qui s’appliquent à l’hygiène ou à la santé. Pour cela, il faut aussi qu’un mouvement citoyen se crée. C’est difficile, mais envisageable… et surtout, nécessaire pour atteindre les objectifs climat. Je crains que sans régulation, aucune entreprise ne veuille bouger seule. En attendant, on risque de rester dans une sorte de flou : l’ère du « on s’en fout » laisse la place à celle du « on fait semblant ».

Biographie

Issu d’une formation d’ingénieur statisticien, Grégoire Mialet est spécialisé dans la modélisation du comportement des individus. Après avoir dirigé la Connaissance Client de plusieurs marques françaises, il co-fonde C-Ways en 2017 avec pour objectif de comprendre les comportements et d’éclairer les enjeux stratégiques de notre époque par l’analyse des données.

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