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Les bullshit jobs s’invitent dans la RSE

Un miroir brisé sur le sol
© Enes Evren via iStock

On pensait que la meilleure façon d'échapper aux bullshit jobs était de s'engager sur la voie de la responsabilité. Mais les déconvenues des "talents verts" semblent indiquer le contraire.

En 2022, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) publiait un rapport intitulé « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental ». Celui-ci révèle qu’en 2021, 23% des formations professionnelles étaient dédiées aux métiers dits « verts » – un pourcentage en constante augmentation. Le signe qu’il est possible d’aligner sa vie professionnelle et ses convictions ? Pour certaines personnes, c’est plutôt l’occasion d’une grande désillusion. La preuve que la RSE n’est pas exempte de bullshit jobs.

Besoin de sens et prise de conscience

À l’origine des carrières dans la RSE, il y a (presque) toujours un besoin de sens. C’est ce qui a poussé Gil* à faire des études d’ingénieur spécialisé en environnement, après avoir exploré d’autres voies. Diplôme en poche, il se lance dans l’éco-conception, et prend le temps de choisir son premier employeur avec soin. Pas question de travailler pour une industrie mortifère. Il rejoint un grand groupe opérant dans une industrie polluante, mais réputé pour être éthique. « J’avais à peine 25 ans, et j’avais à cœur de mettre ma formation au service de l’environnement. Je pensais sincèrement que mon profil pourrait aider une grande entreprise à réduire son empreinte. »

Le parcours de Philippine* est différent. Bonne élève, elle rejoint les rangs d’une école de commerce avant de se spécialiser en marketing. Elle fait ses premières armes dans le marketing numérique auprès d’entreprises du secteur de l’habillement et des cosmétiques. « Ma conscience environnementale n’était pas très développée. J’avais entendu parler du réchauffement climatique, bien sûr, mais je ne me posais pas beaucoup de questions. » À l’époque, elle voyage souvent en avion, achète beaucoup de vêtements, et travaille tellement qu’elle n’a pas vraiment le temps de creuser le sujet. Comme d’autres, c’est avec le Covid qu’elle commence à s’intéresser au sujet. « Surtout au prisme de la mode, qui me concernait directement. Je ne m’épanouissais plus dans mon job, je n’avais pas de passion créative, être salariée me convenait très bien… Cela m’a pris du temps, mais j’en suis venue à la conclusion que je voulais trouver du sens dans mon entreprise et mon emploi. » C’est grâce à l’une de ses anciennes managers, elle-même formée aux sujets RSE, qu’elle trouve sa formation, reprend les études et trouve une alternance.

Greenwashing et désillusion

Pour Gil comme Philippine, la désillusion est à la hauteur de l’engouement passé. Après le Covid, Gil ne se retrouve plus dans les discours de son entreprise. « Éco-concevoir des produits néfastes, ça n’a pas de sens », confesse le trentenaire. Il rejoint donc une plus petite structure et accepte de rogner son salaire avec une promesse alléchante : celle de travailler au service de petites entreprises ou ONG, réellement engagées. Problème : sa nouvelle entreprise compense les petits budgets de ces clients par d’autres, beaucoup moins alignés avec les valeurs de Gil.

Au début de son aventure en tant que cheffe de projet RSE, Philippine rejoint une entreprise engagée du secteur de la mode, qui a le vent en poupe. « Les projets RSE coûtent cher. Mais la marque va bien, et mon employeur me permet de lancer plusieurs initiatives. » Au programme : upcycling de nouveaux objets, plateforme de seconde main, sourcing d’ateliers responsables, sensibilisation des collaborateurs au tri des déchets… Pendant 6 mois, elle est comblée. Mais un coup dur n’aura pas permis à l’entreprise de maintenir ses engagements. « Ça a été dur de constater que dès que le business allait mal, les projets engagés ont été mis en pause. Il y a même parfois eu des retours en arrière. »

La RSE à l’épreuve de l’économie

À l’issue de ces déconvenues, Philippine s’interroge. « Je comprends qu’une entreprise, pour survivre dans un système capitaliste, doive croître. Mais jusqu’à quel point ? Ne pourrait-on pas fixer des piliers ? » Même son de cloche chez Gil. Il regrette que la pratique serve encore trop souvent d’argument marketing à des acteurs qui pourraient, s’ils le souhaitaient, réduire leur empreinte de manière drastique. « Je ne parle pas ici de secteurs essentiels, comme la médecine, l’éducation ou l’alimentaire. En revanche, l’univers des cosmétiques ou du luxe par exemple, s’ancrent dans des codes qui ne permettent pas d’avoir un effet réellement positif. Toutes les actions menées restent de l’ordre du greenwashing. » Le jeune trentenaire a pris une décision radicale. Son métier, il ne l’exercera plus pour des entreprises dont l’objectif est de faire du profit. « Je pourrais faire de l’analyse environnementale pour une agence gouvernementale sans but lucratif, comme l’Ademe. Mais je songe plutôt à me réorienter vers un métier qui aurait plus d’utilité, plus engagé pour le bien commun. »

Les collaborateurs, premières victimes des beaux discours

Ces déceptions n’étonnent pas Grégoire Mialet, fondateur de C-Ways. Pour lui aussi, les avantages de la RSE sont surtout marketing. « Une marque pionnière sur le sujet environnemental va être identifiée par les consommateurs comme étant en avance. » Les beaux discours ne séduisent pas que les consommateurs, mais aussi les potentielles recrues. « Il faut oser le dire : le greenwashing n’est pas mort. Les entreprises peuvent contester, les collaborateurs s’en rendent bien compte. Ils sont, d’une certaine manière, prisonniers, victimes », estime-t-il.

KPMG notait en 2023 qu’un tiers des 18-24 ans avaient déjà refusé une offre d’emploi à cause d’un manque d’engagement environnemental de la part d’une entreprise. Au Royaume-Uni, la proportion s’élève à 20% de la population active, tout âge confondu. La pratique a même déjà un nom : le climate quitting. Et les entreprises feraient bien de s’en préoccuper. Car en pleine pénurie de talents RSE, faire fuir ceux qui s’engagent de bonne foi dans les métiers verts pourrait s’avérer risqué.

*Les prénoms ont été modifiés

Mélanie Roosen & Géraldine Russell

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