Entre 5 et 6% d’augmentation sur un an : voilà le niveau d’inflation que les prix affichent depuis le début de l’année, selon l’Insee. Cela pénalise doublement les TPE-PME : elle freine la demande, ce qui réduit leurs ventes de biens et services, et fait grimper leurs coûts fixes en flèche. Conséquence ? Des trésoreries sous tension. Selon le dernier baromètre des TPE, réalisé en septembre par le Syndicat des Indépendants (SDI), 58% des entreprises déclarent des problèmes de trésorerie, dont la moitié les estiment « importantes voire critiques ».
Pour desserrer l’étau, les entreprises exigent de leurs départements achats de faire baisser au maximum les factures. Mais la reprise de l’épidémie de coronavirus et les contraintes géopolitiques font planer la menace de pénuries sur les approvisionnements. Les acheteurs jonglent ainsi entre deux impératifs : la sécurisation des achats et la réduction des coûts. Pour relever ce défi, ils disposent de 4 leviers majeurs afin de se mettre à l’abri.
Faire des stocks
Alors que le lean manufacturing ou la production à flux tendu avait la cote depuis 2 décennies, la crise du Covid a poussé les entreprises à revoir leur stratégie « zéro stock ». « Quand on peut, c’est-à-dire quand on dispose du cash nécessaire pour assurer le coût du stockage, il est intéressant de stocker les produits, particulièrement les matières premières », observe Irène Foglierini, professeure à l’ESCP, directrice de la formation Achats. En un an, le verre (+45%), le carton (+59%) ou le fret maritime (+85%) ont vu leurs tarifs exploser. Pour optimiser les coûts de transport et limiter l’impact de la hausse des prix des matières premières – qui ne semble pas devoir s’arrêter dans l’immédiat – les entreprises doivent s’organiser pour acheter de plus gros volumes et stocker le surplus.
Pour cela, les TPE-PME ont la possibilité de se regrouper afin de bénéficier de meilleures marges de négociation. « Les centrales d’achats améliorent l’attractivité des petites entreprises vis-à-vis du marché fournisseurs tout en leur faisant gagner du pouvoir de négociation », indique Irène Foglierini. Si les grands comptes ont déjà massivement adopté les centrales d’achat, c’est plus compliqué du côté des TPE-PME. « Comme le montant de leurs achats n’est pas toujours significatif, les petites entreprises essayent de se débrouiller par elles-mêmes », regrette la professeure de l’ESCP.
Renégocier ses contrats
C’est le premier réflexe des entreprises : chercher dans leurs contrats une clause qui leur permet de se protéger de hausses de prix intempestives. « Les contrats comportent souvent une clause qui précise que les prix sont fermes et non révisables ou seulement à une certaine date, acquiesce Irène Foglierini. Mais quand un fournisseur arrête de livrer parce qu’il perd de l’argent en honorant le contrat, une entreprise est contrainte de renégocier. » Les TPE-PME doivent s’adapter à ce rapport de force qui s’est rééquilibré voire inversé en faveur des fournisseurs.
Pour ne pas risquer une rupture des approvisionnements, pas question donc de tordre le bras des fournisseurs. « Il faut décomposer le prix annoncé par le fournisseur : quel est son pourcentage de charges fixes, variables et quelle est sa marge ? puis négocier sur la base de la hausse des matières premières », conseille Irène Foglierini. Les entreprises pourront s’inspirer des techniques du négociateur recruté par Bercy pour aider les PME à (re)négocier leurs contrats avec leurs fournisseurs d’énergie.
Multiplier les alternatives
C’est aujourd’hui la clé pour se mettre en sécurité : « trouver de nouvelles sources d’approvisionnement, de nouveaux fournisseurs », indique la professeure à l’ESCP. Les entreprises doivent ainsi dégoter des produits de substitution, afin de prévenir pénuries et hausses des prix, ou des fournisseurs alternatifs. « Certains marchés sont oligopolistiques mais lorsque c’est possible de le faire et que les fournisseurs présentent un risque, il faut diversifier jusqu’à mettre l’entreprise en sécurité », précise Irène Foglierini.
Pour cela, les entreprises peuvent miser sur les nouvelles technologies. « L’usage de la donnée et l’intelligence artificielle vont permettre de trouver des sources alternatives pour élargir le panel de fournisseurs », souligne Isabelle Carradine, associée du cabinet PwC France et spécialiste des achats. Certaines start-up, à l’instar du Français Silex, se sont ainsi spécialisées dans la recherche et l’analyse de fournisseurs.
La mutualisation des données sur les fournisseurs permet de renforcer l’ensemble de la chaîne logistique. En Allemagne, les entreprises du secteur automobile « partagent des informations sur les risques fournisseurs parce qu’elles partagent les mêmes sous-traitants », indique Isabelle Carradine. Mais « la France a du retard sur la mutualisation des données ».
Renforcer les liens avec ses fournisseurs
Diversifier, oui mais pas à outrance. La tendance ces dernières années était d’ailleurs plutôt à « la réduction du panel de fournisseurs » pour pouvoir développer avec eux des relations plus étroites, rappelle Irène Foglierini. « Si le risque fournisseurs est uniquement lié à l’inflation, mieux vaut négocier avec eux un tarif qui soit acceptable pour les deux parties », conseille la professeure de l’ESCP.
Alors, comment savoir où placer le curseur ? Tout dépend du type d’achats, s’il s’agit de matières ou biens stratégiques pour l’entreprise ou de consommables lambdas. Là encore, les outils technologiques permettent d’identifier « les fournisseurs stratégiques, y compris pour de petits volumes mais qui présentent un risque important pour l’activité de l’entreprise », souligne Isabelle Carradine. Pour mieux les choyer : « lors de la crise du Covid, on a vu l’importance d’avoir des relations continues et apaisées avec certains fournisseurs, qui approvisionnaient d’abord les entreprises avec lesquelles ils avaient des flux réguliers », explique Irène Foglierini.