La négociation de crise est une discipline traditionnellement associée aux forces de l’ordre. Pourtant, avec la multiplication des situations de tension en interne, les techniques de la discipline s’invitent en entreprise. Pour savoir dans quelle situation les employer, l’ancien négociateur du GIGN David Corona identifie plusieurs scénarios : la négociation conflictuelle interne (qui peut intervenir lors de conflits RH, ou dans des situations de médiation), la négociation sociale (qui a lieu entre une entreprise et des syndicats), ou la négociation commerciale (qui s’opère dans les cas d’achat, de vente ou de fusion). Illustrations.
Négociation conflictuelle interne
Ce cas de figure est probablement celui qui est le plus souvent rencontré en entreprise, dès lors que celle-ci est constituée d’au moins 2 personnes. Demande d’augmentation, question sur le recrutement, discussions autour des horaires… Autant de sujets de négociation qui demandent une bonne préparation pour les parties concernées. Le sujet est particulièrement d’actualité, à l’heure où l’inflation entraîne une forte demande de revalorisation des salaires. La pandémie a également soulevé de nombreux sujets de négociation interne. La mise en place d’accords de télétravail, par exemple, n’a pas toujours été sans heurts. Le retour au bureau après plusieurs années en pointillé est aussi sujet à négociation : entre les employeurs qui sont rassurés par la présence de leurs équipes et les salariés qui craignent encore pour leur santé, il a parfois fallu arbitrer. Flex office, jauges, chartes ou accords ne résolvent pas toujours les conflits, et dans certains cas, les salariés mécontents sont poussés vers la sortie. Des négociations non satisfaisantes peuvent mener à des grèves. Si l’outil de travail de l’entreprise est bloqué ou dégradé, ou si le patron vient à être séquestré, les forces de l’ordre peuvent intervenir.
Négociation sociale
La négociation sociale concerne les entreprises les plus structurées, puisqu’elle implique les syndicats. Ceux-ci peuvent être amenés à prendre le relai sur les sujets évoqués plus haut, lorsque la situation ne se dénoue pas, et à leur donner une plus grande ampleur. Dans cette catégorie, certaines entreprises sont régulièrement sous les feux des projecteurs. Les directions de la SNCF ou d’Air France sont par exemple souvent amenées à faire face aux syndicats, dans des affaires parfois très médiatisées. Parmi les plus fraîches, le rejet de 2 organisations syndicales (sur 4) de la proposition d’accord collectif pour les personnels navigants commerciaux (PNC) de la direction d’Air France en novembre 2021. Celui-ci prévoyait d’abaisser le nombre de PNC sur les avions long-courriers, avec l’objectif de réaliser plusieurs dizaines de millions d’euros d’économies. En décembre 2021, la SNCF avait aussi jeté le feu aux poudres après avoir décidé d’appliquer un accord sur les rémunérations avec l’obtention de 2 syndicats (CFDT et Unsa) sur 4 (CGT et SUD Rail). Ce tour de force avait poussé la CGT-Cheminots à alerter sur « l’exercice de la négociation à la SNCF » quand de son côté SUD Rail dénonçait un « piège tendu par la direction ». Le signe de négociations non abouties : l’ancien négociateur du Raid Laurent Combalbert estime qu’une négociation réussie mène forcément à un objectif commun partagé, « c’est-à-dire qu’aucune partie ne se sent flouée, même si tout ce qui était demandé n’est pas atteint. »
À noter : dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales, l’employeur a l’obligation d’engager périodiquement des négociations portant sur certains thèmes (notamment les rémunérations et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes).
Négociation commerciale
Il est aussi des exemples de négociations réussies – et heureusement ! Dans le cas de rachat ou de fusion, par exemple, il en va parfois de la survie d’au moins l’une des parties. C’est pourquoi il est important de se préparer au mieux, d’accepter de faire preuve de transparence et d’admettre ses failles. En 1999, alors que le marché mondial de l’automobile est en crise, plusieurs entreprises fusionnent. Renault et Nissan, qui subissent la crise de plein fouet, choisissent de se rapprocher. Leurs enjeux sont différents. Du côté de Renault, il s’agit d’accélérer son internationalisation et sa compétitivité. Du côté de Nissan, il s’agit d’être rentable tout en évitant le rachat agressif ou hostile d’un groupe étranger. Pour rassurer son homologue sur ce point, le PDG de Renault Louis Schweitzer a transformé la fusion en alliance. Au cours des négociations, il a ainsi organisé des échanges d’informations ou des visites croisées d’usines. Résultat : la négociation aboutit après 8 mois au terme desquels le nouveau directoire était composé à égalité de membres des 2 sociétés, Renault détenait 44,3% de Nissan et Nissan 15% de Renault, et Nissan conservait son nom. Les enjeux des 2 organisations ont été respectées, et elles ont pu se mettre d’accord sur un objectif commun partagé.