Bien avant la réindustrialisation de la France, les sociétés coopératives ont fait les beaux jours de l’industrie. On se rappelle de l’emblématique lutte des salariés de Lip, dans les années 70 pour faire survivre leur usine. D’autres ont essaimé, plus discrètement, comme Acome, société coopérative de production (Scop) spécialisée dans les systèmes de câblage de haute technicité. Avec 2 000 collaborateurs sur 4 continents et quelque 600 millions d’euros de chiffre d’affaires, le groupe est emblématique de la robustesse des 446 Scops industrielles que compte l’Hexagone. « La reprise d’entreprises industrielles sous forme de Scop continue de fonctionner, observe Fatima Bellaredj, déléguée générale de la Confédération générale des Scop et des Scic. C’est plus facile pour ceux qui disposent déjà du savoir-faire de reprendre l’entreprise. »
Alors que, depuis la crise du Covid, le gouvernement a fait de la réindustrialisation une des priorités stratégiques de la France, on imagine les coopératives en figures de proue du retour sur le territoire national de l’appareil productif. Elles ont le mérite d’ancrer les savoir-faire industriels et les outils de production sur le territoire. Et se montrent particulièrement résilientes : l’année dernière, les Scop et Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif) affichaient un taux de pérennité à 5 ans de 79%, contre 61% en moyenne pour l’ensemble des entreprises. Mais la création de coopératives industrielles stagne (-1% en 2023).
Start-up nation VS modèle coopératif
Qu’est-ce qui empêche donc la création de Scop de décoller et d’être un moteur pour la réindustrialisation de l’Hexagone ? « Quand on reprend une entreprise dans le secteur industriel, il faut de l’argent. Les salariés en ont besoin pour investir dans l’appareil de production », souligne Fatima Bellaredj. Et ont pour cela besoin d’appuis financiers afin de lancer la machine et de créer un effet levier. C’est ce que fait, modestement, la CG Scop, forte de 70 millions d’euros investis dans les différentes structures qu’elle soutient. Mais pour démultiplier le nombre de Scop et d’emplois créés, il faudrait « un fonds public dédié ».
Or, regrette Fatima Bellaredj, « l’État fait la fine bouche et n’est pas présent pour investir » dans les modèles coopératifs. L’argent existe mais part en priorité aux jeunes entreprises, emblématiques de la « start-up nation » chère au gouvernement. « Les politiques publiques d’investissement sont réalisées dans l’optique d’obtenir un retour sur investissement rapide. Mais le modèle où l’on prête de l’argent pour avoir des parts au capital et revendre quelques années plus tard ne fonctionne pas pour les coopératives. »
D’autant que la revente se fait la plupart du temps auprès d’acteurs étrangers… « L’économie numérique attire des prédateurs qui veulent réaliser de gros coups financiers. Y compris parmi les créateurs d’entreprise, dont certains ont pour optique de revendre au plus vite au plus offrant. Et avec la vente, le savoir-faire quitte la France« , soupire Fatima Bellaredj. Au contraire, le modèle coopératif « consolide l’entreprise » et l’ancre sur le territoire national : 42% des bénéfices sont en moyenne réinvestis dans l’entreprise pour assurer sa pérennité. Et 46% sont distribués aux salariés sous forme de participation, fidélisant les équipes.
Promouvoir les titres participatifs
L’État dispose pourtant d’un outil pour investir dans les Scop : les titres participatifs (TP). Il en est même à l’origine, puisqu’ils ont été créés en 1983 afin de permettre la recapitalisation d’entreprises nationalisées. « Cet outil permet de répondre à la problématique du financement du risque sans toucher à quelque chose d’essentiel pour les coopératives : le capital », explique Fatima Bellaredj. Mais les TP sont délaissés par l’État, qui n’a investi que dans une grosse dizaine de Scic, par le biais de la Caisse des dépôts.
Alors qu’est-ce qui bloque ? « C’est un problème de méconnaissance, veut croire Fatima Bellaredj. Ceux qui pilotent des fonds d’investissement ne savent pas comment fonctionnent les Scop. Pour dépasser ça, il faudrait que des spécialistes de l’économie sociale fassent partie des équipes [d’investissement]. Sinon, on parlera entre sourds. » Cette difficulté à dialoguer aboutit à un problème de taille : « l’État ne fait pas confiance au domaine coopératif », tranche la déléguée générale de la CG Scop.