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Devoir de vigilance : « Les entreprises françaises manquent d’outils dédiés »

Juliette Guillou, Senior Manager KPMG en France, Centre d’Excellence ESG

Depuis 2017, certaines entreprises françaises sont soumises au devoir de vigilance. À l’aube de la mise en œuvre d’une nouvelle réglementation européenne sur le sujet, l’heure est au bilan avec Juliette Guillou (KPMG).

Encore un acronyme ! La CSDDD – pour Corporate Sustainability Due Diligence Directive – a pour ambition de renforcer la responsabilité des sociétés mères et donneuses d’ordre dans le respect des droits de l’homme et la préservation de l’environnement par leurs chaînes d’approvisionnement. Jeudi 14 décembre, un accord en trilogue était trouvé et devrait permettre à la directive européenne de voir prochainement le jour. Celle-ci reprend des éléments déjà couverts par la loi française relative au devoir de vigilance de 2017. Est-ce à dire que les entreprises tricolores sont en avance sur le sujet ?

Juliette Guillou, senior manager du Centre d’Excellence ESG de KPMG fait le point à l’occasion d’une étude menée sur le sujet.

Près de 7 ans après l’adoption de la loi relative au devoir de vigilance, quel est le constat à l’origine de l’étude ?

Juliette Guillou : Tout d’abord, il existe assez peu d’études sur le sujet. Celles qui existent sont majoritairement portées par les ONG. Celles-ci sont utiles, mais ont tendance à pointer du doigt les manquements. Et de fait, les réponses apportées par les entreprises sont assez lacunaires, même si leur engagement progresse. Nous voulions proposer un état des lieux complet, identifier les points d’amélioration, tout en analysant le contexte réglementaire actuel.

Qu’est-ce qui explique ces réponses lacunaires ?

J. G. : En 2017, la réglementation est passée inaperçue. Il s’agissait d’un court texte, sans décret d’application. Autant dire qu’il était difficile, pour les entreprises, de s’en saisir ! Ce que nous constatons, c’est qu’elles suivent une mise en conformité minimale, selon une approche « tick box ». C’est-à-dire qu’elles se contentent de cocher des cases sur une liste. Au lieu de mettre en place de réelles mesures, cela se transforme en exercice de reporting. Nous remarquons aussi un manque de précision, de transparence et de sincérité quant au périmètre adressé. Cela s’explique entre autres par un manque de collaboration avec les parties prenantes. Or cela est indispensable pour élaborer une cartographie des risques complète.

Que répondent les entreprises face à ces manquements ?

J. G. : Elles évoquent en premier lieu une complexité en termes de mise en œuvre. L’exercice est transverse, toutes les fonctions sont touchées ! La direction des achats, les services juridiques… Mettre en place les actions nécessaires au sein de l’entreprise demande une certaine solidité en termes de gouvernance. Elles regrettent aussi le manque d’outils et de méthodologies à disposition.

Qui doit éditer ces outils et méthodologies ?

J. G. : Un peu tout le monde. Les entreprises d’un même secteur devraient, par exemple, mutualiser les audits de fournisseurs. C’est ce qu’il s’était passé dans le secteur de la communication, notamment. Il faut aussi accepter de mieux travailler avec les ONG, ou de solliciter les acteurs du conseil qui peuvent apporter des outils dans la compréhension des réglementations et dans leur mise en application. Les régulateurs doivent aussi pouvoir donner des lignes directrices pour que les entreprises puissent se mettre en ordre de marche.

Beaucoup d’entreprises appréhendent la réglementation comme une contrainte. Quid des opportunités ?

J. G. : De fait, les réglementations font peser de nouveaux risques sur les entreprises. En ce qui concerne la CSDDD, les amendes pourront ainsi atteindre 5% du chiffre d’affaires net mondial d’une entreprise. Au-delà du risque financier, il faut considérer le risque réputationnel, la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’entreprise, son exclusion des marchés publics… Elles n’ont donc pas tort de considérer les réglementations comme des contraintes. Mais mettre en place une diligence raisonnable peut aussi s’avérer extrêmement positif. En plus de protéger l’environnement et les travailleurs, les entreprises concernées constatent une meilleure efficacité de leur chaîne d’approvisionnement et garantissent la qualité de leurs produits et services.

Quelles recommandations donneriez-vous aux entreprises pour mieux réussir l’exercice ?

J. G. : Le maître mot, c’est la collaboration. En interne et en externe. Il est important de mettre en place des initiatives sectorielles, de dialoguer et travailler avec les parties prenantes, y compris sur le terrain. C’est la seule manière d’obtenir une forme de visibilité sur ce qui se passe au sein de la chaîne d’approvisionnement. Nous recommandons aussi d’avoir une gouvernance spécifique sur le sujet, que ce soit au niveau opérationnel ou stratégique. Il s’agit de fixer des politiques ambitieuses pour sensibiliser chaque partie prenante et de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue. Cela n’est possible qu’en mesurant les impacts des actions menées selon des cibles précises et des indicateurs définis.

Biographie

Juliette Guillou est Senior Manager au centre d’excellence ESG de KPMG qui rassemble 120 experts. Responsable de l’offre devoir de vigilance, elle accompagne ses clients grands comptes et ETI dans leurs enjeux ESG notamment dans le cadre de leur mise en conformité à la loi sur le devoir de vigilance et plus largement l’intégration de pratiques de diligences raisonnables dans leurs opérations et celles de l’ensemble de leurs chaînes de valeur.

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