Depuis 2017, Diversidays scrute l’écosystème Tech au prisme des diversités. Objectif : permettre aux personnes qui sont exclues du secteur de s’y projeter à l’aide de nouveaux modèles, mais aussi changer la donne du recrutement.
Un pari ambitieux mais nécessaire, à l’heure où la Tech sera bientôt le premier employeur de France. La bonne nouvelle, c’est que les signaux sont au vert. En 2022, Diversidays annonçait des chiffres encourageants. Entre autres, depuis ses débuts, l’association a ainsi sensibilisé 300 000 personnes aux enjeux qu’elle porte, accompagné 10 000 demandeurs d’emploi, accéléré 300 entrepreneurs… de beaux résultats, que commente son co-fondateur Anthony Babkine.
Interview.
Quel est l’objectif de Diversidays ?
Anthony Babkine : Notre objectif est d’ouvrir les portes du monde de la tech au plus grand nombre. Nous voulons faire en sorte que les gens qui ont des singularités fortes puissent appartenir à un mouvement, être « invités à la fête ». Aujourd’hui, le secteur est le deuxième plus grand recruteur en France. D’ici 2030, ce sera le premier. Il faut montrer qu’il est accessible. Cela demande 2 choses : d’une part de convaincre les gens d’aller voir ce qui s’y passe ; d’autre part de changer la culture du recrutement pour que les entreprises jouent le jeu de l’inclusion au lieu de celui du Bac + 5.
Concrètement, comment vous y prenez-vous ?
A. B. : Nous avançons sur 2 jambes. La première jambe, ce sont les programmes d’accompagnement à destination des professionnels en reconversion ou des entrepreneurs. Ils ont accès à des job datings, des formations avec des gens qui leur ressemblent pour qu’ils puissent se projeter… Pendant le confinement, nous avons créé « DéClics Numériques« , un programme de 40 heures qui permet aux gens de comprendre les métiers du numérique, quelles sont les formations qui y mènent, etc. Sur les 10 000 personnes qui ont rejoint le programme, 25% ont repris les études. Du côté des entreprises, nous faisons un gros travail de sensibilisation. Nous parlons des diversités au sens large. Personnes handicapées, éloignées de l’emploi, femmes… Nous considérons les discriminations dans leur ensemble, nous ne nous arrêtons pas à une particularité. C’est pourquoi il faut former massivement les gens en charge du sujet, leur apprendre à mesurer la diversité, leur présenter les bons outils pour comprendre les biais. Dans la même veine que la fresque du climat, nous avons travaillé sur une fresque de la diversité. C’est important de conscientiser le fait que nous puissions tous être auteur ou victime de discrimination. Aujourd’hui, une cinquantaine d’entreprises adhèrent à l’association.
L’autre jambe, c’est la partie plaidoyer. Nous menons un gros travail de conviction auprès des médias, de l’écosystème politique et public pour faire comprendre les enjeux qu’il y a à accélérer le mouvement.
Quelles sont les évolutions majeures que vous avez constatées ces dernières années ?
A. B. : Je dirais qu’il y a une importante prise de conscience de la part des pouvoirs publics. Je pense à la création de certains programmes, comme French Tech Tremplin. La Première ministre a également annoncé un objectif de 10 000 femmes formées dans la tech. Je trouve aussi que côté entreprises, on assiste à de vraies mesures. Google organise des ateliers numériques et a accompagné 700 000 personnes en France, par exemple.
Si les choses évoluent dans le bon sens, qu’est-ce qui explique que l’action de Diversidays soit encore nécessaire aujourd’hui ?
A. B. : Il faut toujours aller plus loin, recenser ce qui fonctionne, et accélérer. Sans ça, nous allons vivre cruellement la pénurie de compétences qui s’annonce. Aujourd’hui, ce sont presque 90 000 personnes qui manquent à l’appel. Il faudrait que la France forme 130 000 personnes chaque année. Le risque, c’est une vraie panne d’ici 2025. Si les boîtes ne trouvent pas les bonnes ressources, elles mettront leur structure en péril !
Par ailleurs, même si les choses évoluent, il subsiste de nombreuses inégalités. À compétences égales, il existe un écart salarial de 15 à 20% entre un homme et une femme dans la tech aujourd’hui. 77% des femmes se sentent découragées, moins à leur place, moins considérées. Il y a aussi un enjeu d’éducation : ce qui peut paraître évident pour certains l’est moins pour d’autres. Une femme des quartiers est 5 fois moins en recherche active dans le numérique qu’un homme des quartiers. J’insiste, mais les médias ont un rôle à jouer pour faire émerger de nouveaux role models.
Pourquoi se limiter au secteur du numérique ?
A. B. : Au départ, le choix était stratégique. Avec Mounira [Hamdi, la co-fondatrice de Diversidays, ndlr], nous avons commencé notre carrière dans la communication numérique. Nous ne pouvions que constater le manque de diversité sociale, culturelle et géographique de notre secteur. En observant l’écosystème au global, nous avons remarqué que certains biais étaient généralisés. Le risque, c’est de créer une économie à 2 vitesses : d’un côté, on retrouve ceux qui ont compris que le futur de l’économie était guidé par la tech, de l’autre, ceux qui en sont exclus. L’objectif n’est pas que tout le monde devienne codeur, mais que tout le monde puisse comprendre les contours des outils. Se concentrer sur le numérique, c’est en réalité parler du futur de l’emploi dans la mesure où la majorité des offres nécessitent des compétences, y compris dans les TPE et les PME.
Biographie
Originaire d’Evry-Courcouronnes dans l’Essonne, Anthony Babkine connaît les difficultés scolaires avant d’être épaulé par sa famille, les associations de sa ville et l’association Mozaïk RH. Nommé Directeur Général adjoint de l’agence TBWA\Corporate en charge du numérique à l’âge de 30 ans, il constate rapidement le manque de diversité dans les métiers du numérique et co-fonde avec Mounira Hamdi, l’association Diversidays en 2017. En 2022, Anthony rejoint la nouvelle promotion des leaders européens de la Fondation Obama, arrive en tête du classement des 35 jeunes leaders positifs de moins de 35 ans, dressé par Les Echos et Positive Planet et dans les 50 personnalités qui transforment l’économie française par le journal Le Point. En 2023, Anthony est classé dans le palmarès des 7 « leaders to watch » de Google.org