« Le recrutement fait partie des fonctions de l’entreprise dans lesquelles il y a le plus de perte de temps », regrette Ghislain de Pierrefeu. Depuis 20 ans, il accompagne chez Wavestone les entreprises dans leurs sujets de transformation data-driven et d’intelligence artificielle. Alors quand une nouveauté arrive sur le marché, forcément, ça l’intéresse. En l’occurrence, les employeurs se questionnent sur la pertinence de faire du recrutement assisté par ChatGPT. ChatGPT, c’est cet outil conversationnel signé OpenAI qui donne l’impression de pouvoir répondre à toutes nos interrogations. L’expert le reconnaît : « le buzz du moment est assez impressionnant ». Mais l’outil est-il si pertinent ?
+ : ChatGPT pourrait alléger les tâches « à faible valeur ajoutée »
Rédiger des offres d’emploi, sourcer les profils, trier les CV, répondre aux candidatures… Toutes ces tâches sont considérées comme étant « à faible valeur ajoutée », note Ghislain de Pierrefeu. Elles n’en sont pas moins chronophages ! « En théorie, tout outil qui permet de faciliter ces tâches basiques est un progrès », estime-t-il. Il souligne la prouesse technique du robot, qui est, d’après lui, le premier à proposer à un dialogue « aussi proche d’un échange humain ». Un aspect qui n’est pas pour déplaire à Dan Guez, fondateur du cabinet de recrutement OpenSourcing. « Le recrutement assisté par ChatGPT constitue forcément une petite révolution. Il permet de dépoussiérer la pratique, qui, en termes de recherche et de sourcing, se basait uniquement sur les moteurs de recherche traditionnels. »
+ : ChatGPT pourrait améliorer l’image des recruteurs
Autre avantage possible au recrutement assisté par ChatGPT : l’amélioration de la marque employeur. C’est en tout cas ce qu’envisage Dan Guez. Il en est persuadé : la seule façon de se différencier aujourd’hui, en termes de recrutement, c’est d’utiliser le numérique intelligemment. « Les candidats sont aussi en demande de nouveaux outils, de nouvelles méthodes de recrutement. Les nouvelles technologies sont précieuses dans ce cadre. Surtout si elles permettent plus de créativité. Et je pense que ChatGPT peut, dans une certaine mesure, en apporter. »
– : Les limites du recrutement assisté par ChatGPT
Plus on a besoin de précision, moins ChatGPT est performant. « Les propositions de l’outil restent assez pauvres », souligne Ghislain de Pierrefeu. Ainsi, à la question de savoir où sourcer les profils pour un poste donné, ChatGPT répond, basiquement, LinkedIn ou Glassdoor. « Aucun humain n’a besoin de l’IA pour savoir cela », s’amuse-t-il.
En outre, ChatGPT peut être perçu comme un assistant, mais il est impossible pour les recruteurs de lui laisser la main sur des tâches basiques. Pas question, par exemple, de le laisser rédiger des offres d’emploi de A à Z. « Il n’est pas bon en rédaction. En amont, il faut lui préciser le contenu de manière très dense. En aval, il faut vérifier et réécrire les informations qu’il donne. Du côté des scorings de CV, qui est l’un des points sur lesquels les gens passent le plus de temps, il n’est pas utile car il ne connaît pas suffisamment l’entreprise, ses besoins ou son historique de recrutement. »
– : Le problème de ChatGPT : le manque de fiabilité des données.
Pas question non plus de prendre les données glanées çà et là par ChatGPT pour argent comptant. « Elles sont très nombreuses, un peu datées, pas toujours fiables », alerte Ghislain de Pierrefeu. Difficile, dans ce contexte, de s’assurer qu’elles sont adaptées à l’environnement si particulier de l’entreprise. « Les données sont publiques, génériques, peu personnalisées. Le plus grand danger, c’est qu’elles donnent l’impression d’être fermes et définitives, or elles sont souvent fausses. Il n’y a alors plus du tout d’intelligence, ni artificielle, ni humaine si l’on utilise l’outil sans recul. » Même son de cloche chez Dan Guez. Pour lui, l’impératif est de garder une part d’esprit critique dans l’utilisation des outils technologiques. « ChatGPT ne fait surtout pas exception à la règle. »
Par ailleurs, Dan Guez craint que l’utilisation de données biaisées n’entraîne davantage de discrimination. « Le robot n’a ni sentiment, ni empathie. Il est binaire et sous-alimenté en termes de diversité et de variété. Les retours qu’il donne sont forcément fermés. »
+ : ChatGPT ré-ouvre le débat du recrutement assisté par l’IA
Malgré tous ses défauts, ChatGPT a un avantage : celui de remettre le sujet de l’IA au centre des RH. « Le plus important pour une intelligence artificielle, c’est de pouvoir apprendre dans un bon contexte. C’est pour cela que les entreprises, qui essayent de se différencier dans leur approche des candidats et de personnaliser leurs recrutements vont devoir sortir des biais qu’un outil comme ChatGPT induit forcément », estime Ghislain de Pierrefeu. Il imagine plutôt un système cybersécurisé qui utiliserait des données internes, qui serait entraîné au quotidien et qui se baserait sur l’historique des organisations. « Cela va repenser l’organisation des RH. Entraîner un outil, aussi performant soit-il, demande du temps », prévoit-il. « Il faut nécessairement une appétence au digital », abonde Dan Guez. Il rappelle que jusqu’à présent, les entreprises faisaient appel à des algorithmes pour présélectionner des candidatures sans que les personnes chargées du recrutement n’y comprennent grand-chose. « Cela doit changer : pour collaborer avec un robot au quotidien, il faut forcément connaître ce qui se passe sous le capot. Ne serait-ce que pour savoir quand lui faire confiance, et quand reprendre la main », conclut-il.