Certains chefs d’entreprises achètent des crédits carbone en pensant compenser la pollution générée par l’activité de leur société. Et ainsi s’éviter une réflexion plus poussée sur la décarbonation de leur société ? Tout faux ! Dans son guide dédié à la compensation volontaire, paru en 2022, l’Ademe spécifie que « la compensation carbone ne constitue pas un ‘droit à polluer’, elle n’annule pas l’impact des actions ». Et que « la priorité doit toujours être mise sur l’évaluation, puis la réduction des émissions de gaz à effet de serre ».
Priorité à la réduction des émissions
De fait, « toute démarche de compensation carbone doit s’inscrire dans une logique de trois étapes successives ». D’abord « l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre« . Puis, « la mise en place d’actions pour éviter et réduire ses émissions ». Et enfin, « la compensation de celles qui ne peuvent être réduites (émissions résiduelles) », précise encore l’Ademe. L’achat de crédits carbone ne doit donc constituer que « la dernière action de cette stratégie globale, avec une maximisation des efforts portés sur la réduction des émissions », note Benjamin Dekester, directeur associé du cabinet Ekodev.
Or très peu d’entreprises présentent une stratégie suffisamment avancée pour penser à acheter des crédits carbone. « Cela ne concerne que 10% de nos clients, c’est marginal« , observe l’expert. Qui rappelle que moins d’un quart des entreprises ont réalisé un bilan carbone, soit la première étape du processus…
Des contraintes de disponibilité
Et heureusement ! Car si les entreprises devaient aujourd’hui acheter massivement des crédits carbone, elles seraient bien en peine. « La stratégie nationale bas carbone précise que la compensation doit se réaliser sur le territoire national. Si les entreprises ne décarbonent pas suffisamment leurs activités et préfèrent investir dans les mécanismes de compensation, la France ne disposera pas de puits de carbone en quantité suffisante« , alerte Benjamin Dekester.
Les entreprises doivent être conscientes de ce manque de ressources vertes pour ne pas placer trop d’espoirs dans les crédits carbone. D’autant que « leur coût a fortement augmenté, en raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande », précise Benjamin Dekester. De plus, « dans de nombreux mécanismes, la séquestration ou la diminution des émissions carbone n’est pas immédiate« . En effet, « si les crédits carbone servent à la reforestation, il faut compter plusieurs années avant que les arbres financés puissent absorber la quantité de carbone annoncée. »
Des doutes sur leur légitimité
Ce dernier argument est mis en avant par les détracteurs des crédits carbone pour remettre en cause leur efficacité. Critique renforcée par plusieurs études menées ces dernières années. La dernière en date, publiée fin août dans la revue Science, a montré que les projets de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (les projets REED+) « ne sont pas adaptés pour générer des crédits carbone ». En début d’année, une enquête du Guardian avait abouti à un avis catégorique. « Plus de 90% des droits à émettre du CO2 basés sur des projets de protection des forêts ont tout l’air de crédits fantômes qui ne représentent pas de réelles réductions d’émissions« , assénait le journal britannique.
De quoi remettre en question le principe même de compensation via des crédits carbone ? « Une partie du public a compris ce qu’est le greenwashing et le principe de compensation apparaît de plus en plus suspect », souligne l’économiste de l’environnement au Cirad Alain Karsenty dans un article rédigé pour The Conversation. « Il est possible que la logique de compensation cède progressivement le pas à une logique de contribution à l’effort collectif pour lutter contre les changements climatiques. » Une bonne nouvelle.