« L’Europe peut-elle être une puissance de l’intelligence artificielle générative ? » La question posée par France Digitale dans sa dernière étude dédiée à l’intelligence artificielle générative (IAG) est claire. La réponse l’est aussi : « l’Europe n’a pas encore les moyens matériels, financiers, technologiques et humains d’une totale indépendance de l’ensemble des acteurs de cette chaîne de valeur ».
Pour autant, inutile de céder au défaitisme. Car l’intelligence artificielle générative présente une chaîne de valeur très étendue. Bien plus que les modèles de fondation, dont ceux de Mistral AI, qui ont concentré ces derniers mois l’attention des médias et du grand public. Elle se décline à travers quatre couches distinctes : les puces, l’infrastructure, les modèles de fondation et les applications. Et pas question de regarder le sujet par le petit bout de la lorgnette, celui de ChatGPT. Car France Digitale précise que « la valeur économique réside principalement dans les puces et l’infrastructure ». La bonne nouvelle ? L’Europe présente des atouts certains à chacune de ces étapes.
Pour l’instant, la réponse publique est d’abord réglementaire
Les institutions nationales et européennes se mobilisent pour préserver le marché européen de l’intelligence artificielle générative de l’hégémonie d’acteurs étrangers. La réponse publique a d’abord été réglementaire pour éviter de transformer le marché de l’IAG en Far West. Ainsi, France Digitale note que « le Data Act vise à limiter les pratiques de verrouillage des hyperscalers » dans le domaine des infrastructures. De même, « le Digital Markets Act vise à atténuer la position dominante » des Gafam en matière d’accès aux données. Le RGPD encadre lui aussi ce marché, dans l’optique de mettre tous les acteurs sur un même pied d’égalité.
France Digitale alerte toutefois sur la nécessité d’adopter « une vision politique et réglementaire adaptée au contexte économique et financier ». En effet, l’association regrette que « l’interprétation du RGPD par les différentes autorités de protection des données à l’échelon national [puisse] être stricte voire en opposition, ce qui place les entreprises européennes dans une situation de désavantage concurrentiel ».
Mais l’Europe met aussi la main au portefeuille. En témoignent les 43 milliards d’euros d’investissements publics et privés promis dans le cadre du Chips Act. Le but ? Doper la production de puces sur le territoire européen. Et ça fonctionne, au moins dans une certaine mesure : plusieurs projets de « mégafabs » ont été annoncés en France, en Allemagne et en Italie… mais portés par des entreprises américaines ou asiatiques pour la plupart.
Des entreprises à l’affût mais dépendantes des acteurs dominants
Du côté du privé, France Digitale positive : « les entreprises européennes excellent à différents niveaux de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle générative ». L’assemblage de puces, la conception de modèles de fondation, l’hébergement de données ou le développement d’applications hautement spécialisées sont autant de segments où les acteurs privés européens – et notamment français – se distinguent.
Mais ils se heurtent à la concurrence de mastodontes étrangers, principalement américains, qui « se
distinguent par leur structure intégrée verticalement ». Or, l’une des particularités du marché de l’intelligence artificielle générative, note France Digitale, est que « les partenariats prennent une place importante ». Nouer des partenariats avec ces mastodontes permet à des entreprises plus petites ou plus jeunes d’accéder à « des ressources essentielles », telles que « des investissements en capital », aux « puces et/ou à l’infrastructure » ou encore « à un marché de distribution ».
Cette « dynamique de coopétition, où la collaboration et la concurrence se côtoient et s’entremêlent » n’est pas à l’avantage des entreprises européennes. Certes, « aucune pratique de marché ouvertement abusive » n’a aujourd’hui cours. Mais force est de constater que les Gafam, notamment, jouent les faiseurs de rois sur le marché. Les risques ? Qu’ils choisissent leurs coopétiteurs en n’ouvrant leurs plateformes de distribution et leur écosystème logiciel qu’à quelques heureux élus. Ou encore qu’ils rachètent purement et simplement certaines entreprises, comme le laisse entrevoir la montée de Microsoft au capital d’OpenAI.
Un coup à jouer
Alors, l’Europe est-elle (déjà) surclassée en matière d’intelligence artificielle générative ? Oui mais il est trop tôt pour se faire une raison. L’objectif est donc « de renforcer l’échelon européen à chaque couche de la chaîne de valeur ». La directrice de France Digitale, Maya Noël, identifie pour cela plusieurs pistes. D’abord priorité au nerf de la guerre : le financement. Or pour « investir massivement dans l’ensemble des couches de la chaîne de valeur », « la seule vraie option pour l’Europe est de renforcer massivement les capacités d’investissement des fonds privés et publics en Europe ». L’optique n’est pas d’évincer les investisseurs étrangers mais de créer, en Europe, des investisseurs alternatifs crédibles, y compris pour des tickets importants.
Mais quoi de mieux que l’auto-financement pour garantir sa pérennité ? C’est pourquoi France Digitale recommande de « doper la commande publique et privée en privilégiant ouvertement la commande européenne ». Les entreprises européennes se financeraient ainsi d’abord grâce à leurs clients. Enfin, il ne faut pas oublier de « sourcer davantage de matériaux rares ». Le meilleur moyen de limiter les dépendances, notamment à l’Asie, au tout début de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle générative.