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La France peut-elle rêver d’une intelligence artificielle souveraine ?

Une intelligence artificielle souveraine, un rêve possible ?
© hakule via iStock

L'Hexagone bataille, au nom de la souveraineté, pour faire émerger des champions européens de l'intelligence artificielle. Mais le secteur se heurte à une chaîne de valeur maîtrisée de bout en bout par des acteurs américains.

« Nous pensons possible de faire émerger un acteur indépendant et européen » de l’intelligence artificielle (IA). Arthur Mensch, co-fondateur de la start-up tricolore Mistral AI, présentée comme l’un des concurrents les plus sérieux à OpenAI et Google, se montre confiant. Il peut compter sur le soutien de l’exécutif français. Il a fait de la maîtrise des technologies numériques « souveraines et sûres » une priorité du plan France 2030. L’ancien ministre du Numérique Cédric O fait d’ailleurs partie des co-fondateurs de Mistral AI. Alors l’Hexagone est-il en passe de voir émerger un nouveau géant capable de garantir une intelligence artificielle « indépendante » et « souveraine » ? Pas si sûr.

En amont, des composants qui manquent…

Beaucoup oublient que la souveraineté des technologies numériques passe d’abord par les composants. C’est d’ailleurs l’un des aspects majeurs du plan France 2030, comme l’avait rappelé Emmanuel Macron dans son discours de présentation, en octobre 2021 : « une fois qu’on a les matériaux, qu’on sécurise les composants, [il s’agit de] maîtriser les technologies numériques souveraines et sûres ». Mais disposer des matériaux nécessaires sur le sol français n’est pas si simple.

La France compte bien quelques poids lourds des semi-conducteurs (STMicroelectronics) et des arrivants très ambitieux dans le secteur des puces (Kalray, SiPearl). Mais ils sont loin de rivaliser avec l’Américain Nvidia, qui détient plus de 80% du marché des puces utilisées par les moteurs d’IA. Ses principaux rivaux, AMD et l’outsider Groq, viennent eux aussi des États-Unis. L’Europe, et donc la France, sont même soumises à une double dépendance puisque ces fournisseurs produisent leurs composants en Asie. L’intelligence artificielle souveraine se heurte donc à la délocalisation de sa chaîne de valeur… et à sa trop lente relocalisation.

Et une bataille autour de l’accès aux données

Pour pouvoir faire fonctionner une intelligence artificielle, il faut du carburant à mettre dans le moteur. Ce carburant, ce sont les quantités phénoménales de données qui servent à entraîner les modèles puis à les nourrir. Sur ce point, Europe et États-Unis se sont longtemps écharpés à l’occasion des débats autour de l’AI Act, dont la version finale a été présentée par l’Union européenne en décembre. Le Vieux continent est partisan d’une régulation assez stricte de l’IA, pour garantir son éthique, là où les États-Unis se montrent plus libéraux au nom de l’innovation. Or de cette régulation découle un accès plus ou moins restreint aux données.

La France faisait partie des opposants à l’AI Act. Figure de proue des contestataires, Cédric O qui portait la voix de Mistral AI, a fini par irriter le commissaire européen Thierry Breton. « J’observe la start-up Mistral. Elle fait du lobbying et c’est normal. Mais nous ne sommes dupes de rien. Elle défend son business aujourd’hui et non I’intérêt général », lançait-il fin novembre, dans une interview à La Tribune. Plus récemment, un « fin connaisseur du dossier » glissait, perfide, au Canard enchaîné que « la position française s’est alignée sur celle des Big Tech, avec l’idée que Mistral pourrait en faire partie ». La start-up a d’ailleurs recruté comme directrice des affaires publiques Audrey Herblin-Stoop, ancienne de… Twitter. Gageons que Mistral AI utilise les mêmes méthodes que les Gafam pour mieux leur tenir tête…

Toujours un problème de financement

Autre obstacle à franchir pour les acteurs européens de l’intelligence artificielle, celui du financement. Certes, les choses s’améliorent de ce côté-là avec plusieurs projets d’ampleur dans le domaine, notamment le déblocage par Xavier Niel d’une enveloppe de 200 millions d’euros. Mistral AI n’est d’ailleurs pas à plaindre : la start-up a rassemblé 385 millions d’euros lors de sa dernière levée de fonds, annoncée en décembre dernier.

Mais ce tour de table a été mené par un fonds américain, l’emblématique Andreessen Horowitz. Interrogé par Le Monde sur ce « paradoxe », Arthur Mensch a souligné l’impuissance de la « start-up nation » à financer ses wannabe géants. « Il y a un problème structurel bien connu car les fonds de croissance européens sont aujourd’hui incapables de réaliser des investissements aussi significatifs que ceux dont nous avions besoin pour accompagner nos ambitions. » L’intelligence artificielle souveraine ne peut donc, pour l’instant, se passer de capitaux étrangers.

Distribution : mission impossible ?

Pour peu que l’Europe soit un jour capable de produire ses propres puces, de présenter une position commune sur l’accès aux données et de disposer d’un écosystème financier suffisamment robuste pour alimenter ses champions, il lui restera un ultime écueil à surmonter. Et pas des moindres : celui de la distribution des produits. Car il ne faut pas être naïf : la mise à disposition d’outils gratuits en ligne constitue une belle vitrine mais elle ne garantit pas une demande suffisante pour les produits payants à destination des entreprises.

Or les géants américains ont une longueur d’avance sur ce point. Google intègre son IA Gemini aux produits de son écosystème. Et les liens étroits entre OpenAI et Microsoft lui permettent d’être référencé dans certaines offres de sa plateforme cloud, Microsoft Azure. Mais il ne sera bientôt plus seul. Mistral AI vient d’annoncer un partenariat avec Microsoft pour que son nouveau modèle, Mistral Large, y soit également disponible. Une étape cruciale pour la start-up française afin de toucher une clientèle plus large… mais qui la rend d’autant plus dépendante à un acteur étranger.

Mélanie Roosen & Géraldine Russell

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