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Jeu de dupes entre Mistral AI, Microsoft et la Commission européenne

Drôle de tango entre Mistral AI, la Commission européenne et Microsoft
© teddyandmia via iStock

Un véritable jeu de dupes se joue entre Microsoft, Mistral AI, OpenAI et la Commission européenne. Retour en 8 questions sur le dossier brûlant du moment.

« Nous allons examiner le partenariat entre Mistral AI et Microsoft. » La Commission européenne a fraîchement accueilli l’annonce du rapprochement entre la start-up française d’intelligence artificielle et le géant américain. Alors à quel point l’Europe peut-elle hypothéquer les chances de réussite de la jeune entreprise ?

Qu’est-ce qui a déclenché les hostilités ?

Fin février, Mistral AI a fait plusieurs annonces. D’abord, l’entreprise a présenté son nouveau modèle d’IA, Mistral Large, bien plus puissant que ceux qu’elle avait mis à disposition jusqu’alors. Pour le distribuer, la start-up tricolore a annoncé avoir noué un partenariat (non exclusif) avec Microsoft. Sa plateforme Azure intègre ainsi Mistral Large – aux côtés des services d’OpenAI. Enfin, en plus de ce partenariat de distribution, Microsoft a investi 15 millions d’euros dans la jeune entreprise. Pour l’instant, ce montant n’est pas une prise de participation au capital. Il le deviendra cependant dès la prochaine levée de fonds de Mistral AI, a confirmé un porte-parole de Microsoft à Reuters.

Pourquoi la Commission européenne s’intéresse au partenariat entre Mistral AI et Microsoft ?

La Commission est attentive à ce que l’un des fleurons européens de l’IA ne passe pas sous coupe américaine. C’est l’un des chevaux de bataille de l’Europe ces dernières années : protéger les actifs européens. Notamment dans l’économie numérique, réputée plus sensible aux prédations. Et la Commission scrute tout particulièrement le secteur de l’intelligence artificielle, quelques semaines à peine après l’adoption de l’AI Act. Celui-ci doit consacrer une vision européenne de l’IA, plus éthique que celle promue outre-Atlantique. Un rapprochement entre l’une des figures de proue européennes du secteur et un acteur américain fait donc mauvais genre.

De quels outils dispose la Commission européenne pour agir ?

D’une part le règlement européen relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, en vigueur depuis 2004. « Si Microsoft acquiert une influence décisive sur une entreprise – Mistral ou OpenAI – il doit notifier cette transaction auprès de la Commission européenne », rappelle Stéphane Dionnet, avocat associé du cabinet McDermott Will & Emery Belgium. Si les 2 entreprises concernées génèrent chacune plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en Europe et que leurs chiffres d’affaires mondiaux cumulés dépassent 5 milliards d’euros, alors la Commission européenne peut se saisir du dossier. Mistral AI est encore (très) loin des 250 millions d’euros de chiffre d’affaires et n’est donc pas concerné par cette disposition.

La Commission peut cependant s’appuyer sur l’article 22 du même règlement européen. Celui-ci autorise un État membre à demander à la Commission d’examiner toute concentration d’entreprises. Il faut pour cela que celle-ci « affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ». Mais avec seulement 15 millions d’euros investis dans Mistral AI, au regard d’une valorisation dépassant les 2 milliards d’euros, il est très improbable que l’investissement de Microsoft puisse inquiéter les gouvernants européens. Il faudrait donc que les États membres s’appuient sur le partenariat de distribution et ses effets – par exemple si le chiffre d’affaires de Mistral AI était principalement réalisé via Azure – pour pouvoir alerter la Commission. « Si des éléments montrent que Microsoft dispose d’un contrôle économique sur Mistral, alors la transaction peut être étudiée par la Commission », appuie Stéphane Dionnet. Pour parer à cela, Arthur Mensch, le co-fondateur de Mistral AI a laissé entendre sur X que d’autres partenariats pourraient être noués.

Qu’est-ce que la Commission européenne reproche (vraiment) à Mistral AI ?

En réalité, la Commission est surtout irritée par ce qu’elle perçoit comme un double discours de Mistral AI. En effet, durant les débats autour de l’AI Act, Mistral AI avait défendu une régulation minimale pour ne pas pénaliser l’émergence de champions européens capables de tenir tête aux Gafam. Au grand dam de la Commission qui défendait, elle, une régulation plus stricte. L’annonce d’un partenariat avec l’un des Gafam jette le doute sur l’attitude de Mistral AI : la start-up a-t-elle seulement voulu protéger ses intérêts, comme le laissait entendre Thierry Breton à l’automne ? Et s’assurer d’un cadre réglementaire suffisamment souple pour lui permettre de travailler non pas en concurrence des Gafam mais avec eux ?

Une version démentie par Mistral AI, par la voix d’Arthur Mensch, qui a assuré que la start-up restait « une entreprise européenne indépendante avec des ambitions mondiales ». Les promesses n’engagent que ceux qui les croient, diront ses détracteurs…

Sur quels soutiens Mistral AI peut-il compter ?

La pépite tricolore peut compter sur le soutien sans réserve de la nouvelle secrétaire française d’État au numérique, Marina Ferrari. Elle l’a ardemment défendue dans une interview à La Tribune. « Je trouve formidable qu’une jeune entreprise française réussisse un partenariat de cette ampleur avec Microsoft. Il faut plutôt se réjouir qu’une entreprise française réussisse à casser le duopole Microsoft/OpenAI dans l’IA générative. Cela renforce la souveraineté européenne car le marché aura accès à une solution française de la meilleure qualité. »

Les réserves de la Commission européenne ont aussi provoqué une levée de boucliers dans le secteur de l’IA. Et tout particulièrement dans l’Hexagone, comme en témoigne la réaction de Stéphane Roder, président du cabinet AI Builders. « Nous avons une chance extraordinaire d’avoir eu, en France, l’intelligence collaborative de créer cette merveilleuse pépite qu’est Mistral.ai. Tout le monde y a participé : fondateurs, gouvernement, institutions. Espérons que les institutions européennes en fassent de même. Et prennent conscience des vrais enjeux plutôt que de s’attarder sur des sujets qui n’en sont pas. »

La Commission européenne peut-elle s’attaquer à Microsoft ?

La Commission européenne avait déjà entamé l’examen des liens entre Microsoft et OpenAI pour déterminer si le géant aurait dû lui notifier ce rapprochement. « La transaction ne posera pas de problème de concurrence tant qu’Open AI bénéficiera d’une autonomie économique vis-à-vis de Microsoft », précise Stéphane Dionnet. Mais la saga autour de la gouvernance d’OpenAI qui a émaillé la fin d’année 2023 ne plaide pas en faveur de l’indépendance de la start-up américaine.

Ce qui jette une toute autre lumière sur le partenariat noué ultérieurement par Microsoft avec Mistral AI. Celui-ci crée un rempart juridique aux interrogations de la Commission sur l’emprise supposée du géant sur les modèles d’OpenAI. Plus question de monopole, puisqu’un autre modèle est disponible sur la plateforme, européen de surcroît.

Quelles actions la Commission européenne peut-elle entreprendre ?

Le rapprochement entre Mistral AI et Microsoft ne peut, pour l’instant, être scruté par la Commission puisqu’il ne respecte pas les critères de saisine. Aujourd’hui, seule la mobilisation d’un ou plusieurs États membres pourrait permettre à la Commission d’examiner ces liens. Mais l’agacement de l’institution sert de piqûre de rappel à Mistral AI : si la start-up décidait de créer des liens plus étroits avec Microsoft, il lui faudrait passer par les fourches caudines de la Commission.

Concernant les liens entre Microsoft et OpenAI, il reste à la Commission à déterminer si cette transaction devait lui être notifiée au préalable – auquel cas elle aurait dû donner son consentement avant la conclusion de l’opération. Elle peut pour cela conduire une enquête de marché pour déterminer comment ce rapprochement affecte le marché européen de l’IA. Une procédure qui devrait durer au moins encore quelques semaines.

Quelles sanctions pourrait-elle prononcer ?

Elles sont particulièrement sévères, s’il s’avère que Microsoft aurait dû notifier a priori son rapprochement avec OpenAI à la Commission. Alors l’entreprise s’expose « à une amende de 10% du chiffre d’affaires global de sa dernière année fiscale », rappelle Stéphane Dionnet. Mais l’avocat se veut prudent. « La Commission inflige rarement des amendes aussi élevées. Avant d’en arriver là, il faudra respecter une procédure très formelle. »

Mélanie Roosen & Géraldine Russell

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