« L’argent des Européens ne doit pas dormir. Il doit travailler à la croissance, à l’innovation, à la recherche. Il doit travailler pour les entreprises, pour l’emploi. » En février, Bruno Le Maire lançait « l’appel de Gand » afin de mobiliser ses partenaires européens. Son objectif ? Créer un produit d’épargne européen qui flécherait les sommes dormant actuellement sur les comptes bancaires des particuliers vers l’économie réelle.
L’idée n’est pas nouvelle mais elle s’ancre dans un contexte particulièrement favorable. L’OCDE a publié l’an dernier une étude sur les attitudes, connaissances et comportements des nouveaux investisseurs en France. Celle-ci souligne qu’après la crise du Covid, qui a dopé l’épargne des Français, ils ont été nombreux à se tourner vers l’investissement. Entre 2020 et 2022, 800 000 nouveaux investisseurs sont arrivés sur les marchés d’actions. Or ces nouveaux investisseurs sont aussi de jeunes investisseurs : une majorité a moins de 35 ans et fait donc partie de la génération Z (ou « gen Z »). Ce qui a modifié le paysage des investisseurs tricolores : au premier semestre 2023, 40% des investisseurs particuliers en actions avaient moins de 35 ans, contre 28% en 2020. Cela préfigure-t-il une nouvelle manne de financement pour les entreprises ?
Objectif rentabilité
Pas vraiment. Car les investisseurs de la génération Z débarquent sur le marché avec un objectif très clair : « gagner (beaucoup) d’argent (très) rapidement », stipule l’étude de l’OCDE. « C’est particulièrement vrai pour les 18-24 ans », qui sont 80% à en faire une priorité. Cet objectif de rentabilité rapide s’accompagne d’horizons de placement très courts. « 18% des nouveaux investisseurs investissent avec un horizon de moins de 3 ans (contre 4% des investisseurs traditionnels) et un quart ont un horizon de placement de 3 à 5 ans (contre 10% des investisseurs traditionnels). » Des caractéristiques d’investissement peu compatibles avec l’investissement dans les entreprises, particulièrement les TPE-PME qui lorgnent avidement sur l’épargne des Français.
L’influence des réseaux sociaux
Autre écueil pour les entreprises tricolores : pour prendre ses décisions d’investissement, la gen Z se fie… aux réseaux sociaux. 50% des investisseurs de moins de 35 ans et même 63% des 18-24 ans y recherchent des informations. Les jeunes investisseurs se montrent aussi friands du trading social. Il « favorise le mimétisme », les investisseurs copiant des influenceurs. Y compris lorsque ces derniers « ne détiennent pas d’informations relatives à la valeur ou n’affichent pas de meilleurs résultats en matière de négociation boursière », précise l’OCDE. Or, l’Autorité des marchés financiers (AMF) veille. « Partager son opinion devant un large public sur le prix actuel ou futur d’une action cotée dans l’Union européenne, par exemple, constitue une recommandation d’investissement en droit européen. » Ces influenceurs doivent donc respecter un certain nombre de règles : révéler leur identité, leurs sources et leurs éventuels conflits d’intérêts. Ce qui explique que certains influenceurs financiers auto-proclamés préfèrent orienter leurs abonnés vers des produits moins conventionnels.
Priorité aux crypto-actifs
Notamment les crypto-actifs, « un choix d’investissement apprécié des investisseurs de la génération Z », note l’OCDE. Plus d’1 nouvel investisseur sur 2 (54%) détient des crypto-actifs, contre seulement un quart des investisseurs traditionnels. Or ces jeunes investisseurs sont aussi « plus nombreux à détenir un seul produit financier (24% contre 16%) ». Ainsi, 11% des nouveaux investisseurs ne détiennent que des crypto-actifs. Lorsqu’ils doivent choisir leurs produits d’investissement, les investisseurs de la gen Z préfèrent les bitcoins aux actions d’entreprises…
Les actions n’ont pas la cote… et tant mieux ?
Sans surprise, les investisseurs de la génération Z sont donc « moins nombreux [que les investisseurs traditionnels, NDLR] à détenir des produits financiers tels que des actions individuelles d’entreprises cotées (24% contre 36% des investisseurs traditionnels), des actions d’entreprises non cotées (20% contre 23%) ou des parts de fonds d’investissement (11% contre 19%) ».
Mais est-ce vraiment une mauvaise chose pour les entreprises ? Ces nouveaux investisseurs font peu la différence entre détenir une partie du capital d’une entreprise et un crypto-actif. Ainsi, leur objectif de rentabilité à (très) court terme s’applique-t-il également à leurs investissements dans les sociétés non cotées (ils sont 40% à en faire « une priorité absolue ») ou dans des actions individuelles d’entreprises cotées (35%). Peut-être que les TPE-PME devraient se réjouir que ces cow-boys de l’investissement ne débarquent pas (tout de suite) à leur capital, au risque de fragiliser leur croissance, certes lente mais pérenne.