L’origine, l’âge, l’état de santé, le handicap, l’apparence physique… Les études réalisées depuis 20 ans sur le sujet révèlent que les discriminations sur le marché du travail restent intenses en France. C’est pourquoi une récente proposition de loi propose de généraliser les testings anti-discriminations. Marc Ferracci, vice-président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale et auteur du texte, regrette que les acteurs publics et privés ne soient pas suffisamment responsabilisés pour que les choses puissent changer. Interview.
Quel est le constat à l’origine de la loi ?
Marc Ferracci : De nombreuses évaluations académiques montrent que les discriminations restent très prégnantes dans le pays. En ce qui concerne l’emploi, elles mettent en avant les discriminations liées à l’âge, aux origines ou à l’adresse par exemple. Tout ceci est relativement bien documenté grâce à la mise en place de méthodes de testing. Les enquêtes d’opinion montrent aussi que les gens perçoivent des discriminations, qu’ils soient concernés ou non. Cela, alors même que l’arsenal juridique pour lutter contre ces dérives est assez étoffé. C’est pourquoi nous proposons une loi pour rendre opérant le cadre juridique. Il s’agit de se doter de moyens institutionnels, juridiques et budgétaires pour le faire appliquer.
La loi propose notamment de systématiser les testings. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. F. : Il existe 2 sortes de testings – statistiques et individuels. Ils ont des objectifs différents, s’appliquent à des entreprises différentes et leurs conséquences sont différentes. En ce qui concerne les tests statistiques, il s’agit d’envoyer un grand nombre de candidatures fictives à une entreprise de taille importante, sans qu’une personne réelle n’ait forcément subi de préjudice. Si l’on constate qu’une entreprise a une réponse systématiquement négative en ce qui concerne les CV de personnes plus âgées ou qui ont des origines maghrébines par exemple, c’est un indice de discrimination. Dans la mesure où il s’agit de CV fictifs, il n’y a pas de préjudice à réparer. La seule action à envisager, c’est la publication des résultats.
En ce qui concerne les tests individuels, il s’agit d’envoyer une candidature alternative à une candidature existante, s’adressant à une personne morale. L’objectif est de tester l’existence d’un préjudice que subit une personne réelle. Si elle est avérée, le testing est admis par le code pénal comme un élément de preuve.
Ces 2 dispositifs ne demandent pas les mêmes ressources. Comment les mettre en place ?
M. F. : Les tests statistiques nécessitent de réels besoins budgétaires. Pour l’instant, ils sont réalisés par des équipes de recherches indépendantes. Il faut savoir que le test d’un sujet et d’un critère représente 100 000 euros de recherche. Si l’on veut multiplier les tests et les critères, on arrive rapidement à quelques millions d’euros. En ce qui concerne les tests individuels, ils reposent sur une forte expertise d’ingénierie afin de créer un CV contrefactuel. C’est pour ces raisons que la proposition de loi demande de créer un service public de la discrimination.
Quelles seront les conséquences pour les entreprises reconnues discriminantes ?
M. F. : La loi s’inscrit, pour partie, dans une logique de contrainte. Les entreprises reconnues coupables de discrimination, dans les cas de testings individuels, pourront voir leurs pratiques rendues publiques. Mais elle s’inscrit aussi dans une logique d’accompagnement. Les entreprises visées disposeront de 6 mois pour modifier leurs pratiques. Ce délai doit leur permettre de mettre au point des accords d’entreprise ou un plan d’action qui sera évalué par plusieurs parties prenantes, notamment la Dilcrah (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT). Si rien n’est fait, en plus de la publication des pratiques, une amende est prévue.
Comment les entreprises appréhendent-elles la démarche ?
M. F. : Le plus important, c’est de définir au mieux les méthodes de testing, et d’en discuter avec toutes les parties prenantes. Si on ne discute pas suffisamment, les entreprises peuvent émettre des suspicions quant à la robustesse des résultats. Or il est impératif qu’ils soient admis par tout le monde.
Avez-vous le sentiment que le sujet soit suffisamment compris par les entreprises ?
M. F. : Très peu de gens discriminent de manière consciente et assumée. Le plus souvent, des biais entrent en jeu. On va considérer qu’un jeune des quartiers n’aura pas les codes pour s’intégrer dans le monde du travail, par exemple. Ou qu’un senior ne saura pas s’adapter aux nouvelles technologies. Tout cela est internationalisé dans la réflexion et le process de recrutement, parfois de manière inconsciente. Il y a donc un réel enjeu de sensibilisation. Nous espérons que cette proposition de loi suscitera une prise de conscience par la mise en place d’un cadre labellisé, institutionnalisé et de pratiques scientifiques.
Quelles sont les prochaines étapes ?
M. F. : La loi a été déposée au nom du groupe Renaissance. J’espère qu’elle sera examinée au début du mois de décembre pour qu’elle puisse être adoptée au Sénat début 2024.
Biographie
Marc Ferracci est un économiste et homme politique français, député des Français de la Suisse et du Liechtenstein élu en 2022 sous l’étiquette Ensemble-LREM et siégeant au sein du groupe Renaissance. Engagé politiquement aux côtés d’Emmanuel Macron, il est son conseiller économique durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Il est conseiller spécial de la ministre du Travail Muriel Pénicaud et conseiller auprès du Premier ministre Jean Castex. Il est élu en juin 2022 député de la 6e circonscription des Français établis hors de France sous l’étiquette Renaissance et vice-président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale.