L’inclusion fait de plus en plus parler en France. Sur les réseaux sociaux, en 2023, le sujet cumule 2,7 millions de messages. C’est 56% de plus qu’en 2019, indique la plateforme Visibrain. En tête des thématiques abordées : le genre, avec 1,1 million de messages, suivi de près par l’âge, avec 962 255 messages. Plus loin derrière, on retrouve l’origine, avec 243 375 messages. Et, tout en bout de classement, le handicap avec 115 843 messages. Alors que 50% des personnes actives seront concernées par le handicap au cours de leur vie, comment expliquer que le sujet ne soit pas plus – et mieux –considéré ?
Où est le handicap ?
« Le handicap, ce n’est pas sexy. » Clara Mautalent n’y va pas par 4 chemins. Cette psychologue sociale, spécialisée dans le handicap le constate : aujourd’hui, le sujet n’intéresse que les gens qui sont concernés. Et n’occupe donc jamais le devant de la scène.
Le handicap est ainsi invisible dans les médias. Lorsqu’elle est diagnostiquée atteinte d’une sclérose en plaques, Alice Devès cherche à en apprendre plus sur son handicap. Impossible : personne n’en parle. « J’ai été choquée de découvrir qu’aucun média ne donnait la parole aux personnes en situation de handicap invisible. » Elle lance donc Petite Mu, un média spécialisé sur la question. « Cela nous permet, avec mon associée, de proposer une autre vision du handicap, sans tabou et sans négativité. »
Peut-être que le handicap est – au moins – mis en avant lors d’événements dédiés ? Encore raté… Au Sommet de l’inclusion économique en novembre dernier, Boutanya Burkel s’étonnait de voir que les discussions autour du handicap étaient absentes du programme. « Il a fallu attendre que de grands groupes comme Total, ADP ou Auchan interviennent pour que le sujet soit abordé », s’émeut la CEO du cabinet The Helpr.
Les entreprises à la pointe ?
« Le handicap est aussi invisible dans le monde du travail » regrette Juliette Augeix. À 25 ans, elle découvre qu’elle est en situation de handicap cognitif et que cela explique les difficultés qu’elle a pu rencontrer en entreprise. Résultat, elle préfère entreprendre pour « la flexibilité des conditions de travail » que cela lui permet. Et lancer CASE, un cabinet de conseil spécialisé sur les questions d’inclusion et d’insertion. « 80% des handicaps en France sont invisibles« , rappelle-t-elle. Si les entreprises n’accompagnent pas les personnes touchées, impossible de sensibiliser la population à grande échelle.
Ce manque de visibilité et de sensibilisation crée un cercle vicieux. « Lorsque nous donnons des conférences ou animons des ateliers en entreprise, nous ne savons jamais quel accueil nous allons recevoir », témoigne Alice Devès. Elle partage une expérience désagréable, alors qu’elle donnait une conférence au sein d’un groupe de 9 000 personnes. « Seules 25 y ont assisté. » Même son de cloche pour Clara Mautalent. « Avant d’être indépendante, je travaillais dans un cabinet de conseil associatif spécialisé dans le handicap. Petit à petit, nous avons conditionné l’organisation de nos conférences et ateliers à ce qu’ils soient obligatoires. C’était le seul moyen de fédérer les équipes. »
Sortir d’une vision « personnelle » du handicap
Pour mieux appréhender la question du handicap au travail, il faut sortir de la vision « personnelle » qui domine en France aujourd’hui. « C’est à l’individu de faire l’effort de s’adapter à la société et au monde du travail en particulier », explique Boutayna Burkel. Ce que cela engendre ? L’impression de « faire la charité » quand une entreprise respecte les obligations légales en ce qui concerne l’emploi de personnes en situation de handicap (OETH). Mais aussi potentiellement une incompréhension de la part des salariés qui ne sont pas sensibilisés aux aménagements qui en découlent. Juliette Augeix partage son expérience. « Mon handicap étant invisible, mon diagnostic est constamment remis en cause. C’est très frustrant car mes besoins peuvent ressembler à des caprices pour les personnes valides. »
Une incompréhension dont peuvent découler des discriminations bien réelles liées au validisme. »On parle de racisme, de sexisme, même de jeunisme, mais pas du tout du validisme. Cela n’aide pas à rendre visibles les situations parfois choquantes qui y sont associées », regrette Clara Mautalent. Les entreprises de toutes tailles vont devoir s’attaquer au problème : « d’ici 2030, 30% des actifs auront plus de 50 ans. Or, le handicap est en partie lié à l’âge. Comment les entreprises vont-elles s’adapter face aux maladies chroniques, aux personnes à mobilité réduite ? »
Accompagner les personnes en situation de handicap dans leur évolution de carrière
Les expertes s’accordent à dire que les entreprises doivent s’emparer du sujet pour changer la donne. Mais la tâche n’a rien d’aisé. Alice Devès rappelle que de nombreuses personnes ne se disent pas handicapées alors qu’elles le sont – et qu’elles le savent. « Elles ont peur d’être discriminées ou jugées si elles demandent des aménagements, par exemple. D’un autre côté, déclarer son handicap peut entraîner des discriminations.
Il faut que les managers se saisissent du sujet pour qu’il n’en soit plus un. Le jour où l’on normalisera le fait d’avoir des managers en situation de handicap, il n’y aura plus besoin de faire de sensibilisation. » Or manager – et donc diriger – est encore associé « à la force physique et mentale« , constate Boutayna Burkel. C’est ce qui explique qu’au-delà de l’accès à l’emploi se pose la question de l’évolution de carrière. « Il y a moins de progression professionnelle chez les travailleurs handicapés. Ils n’accèdent pas aux postes managériaux, ni aux salaires qui vont avec », indique Clara Mautalent.
Mais la psychologue se réjouit : les modes de pensée – et donc les représentations – évoluent dans le bon sens. « Il y a encore quelques années, l’Agefiph proposait des conférences pour aider les entreprises à contourner la contribution. Aujourd’hui, le sujet est plutôt de comprendre comment structurer sa politique d’inclusion. »
Besoin d’une sensibilisation au niveau national
Pour faire bouger les choses et intéresser la population au sujet, Alice Devès recommande de rétablir un dialogue de confiance. « Les gens ont peur de déclarer leur situation, et les entreprises ne savent pas comment communiquer dessus. Il faudrait une campagne de sensibilisation au niveau national pour que tout le monde se sente concerné. »
Ou que les discriminations et injustices soient rendues visibles… Faudra-t-il l’équivalent d’un #MeToo sur les discriminations liées au handicap pour que l’ensemble de la société s’intéresse au sujet ?