Les acteurs de l’intelligence économique l’attendaient avec impatience : le rapport d’information sur l’intelligence économique de la Commission des affaires économiques du Sénat a été publié début juillet. Il ne comporte pas moins de 23 « propositions concrètes pour replacer l’intelligence économique au cœur des politiques publiques ». En d’autres mots, mettre sur pied une véritable stratégie d’intelligence économique pour défendre les intérêts français et doter l’Hexagone de dispositifs offensifs pour les faire valoir.
La commission souligne l’urgence de la situation. « La France est en proie à une perte de souveraineté profonde et transversale », décrivent les auteurs. Les sénatrices Sophie Primas et Marie-Noëlle Lienemann et le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne rappellent ensuite que les pays étrangers « développent des pratiques offensives de mieux en mieux documentées ». Celles-ci s’étendent des menaces capitalistiques jusqu’aux cyberattaques, en passant par l’extraterritorialité de leurs lois.
Protéger le patrimoine économique tricolore
Le premier axe présenté par la commission est défensif. Et la France est déjà bien dotée en la matière, même si « ce volet défensif mériterait d’être consolidé ». Les trois sénateurs pointent notamment « le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France« , qui concentrent à eux seuls 3 recommandations. D’abord « pérenniser l’abaissement de 25% à 10% du seuil des droits de vote déclenchant le contrôle des investissements réalisés par des investisseurs tiers à l’Union européenne au sein de sociétés cotées ». Ce dispositif, adopté en pleine pandémie, a été renouvelé depuis sans toutefois être inscrit dans la loi.
La commission recommande surtout « d’assurer le suivi dans le temps des engagements des investisseurs ». En effet, Bercy conditionne certains investissements, sans pour autant vérifier ensuite que les investisseurs respectent leurs promesses. Une faille pointée par de nombreux experts, qui y voient une posture dont les investisseurs ne sont pas dupes. Le Trésor pourrait hériter de cette mission et publier un rapport annuel sur le sujet, débattu au Parlement.
Accélérer sur l’établissement de normes
À cet axe défensif s’ajoute une stratégie résolument offensive. Le point faible de la France, à en croire la commission, qui préconise de se concentrer dans un premier temps sur la normalisation. « La capacité d’un État à influer sur les normes internationales en matière économique, c’est-à-dire sur les règles du jeu dans une économie mondialisée, est un élément essentiel de compétitivité pour les entreprises », rappellent les auteurs. Or l’Allemagne et les États-Unis distancent déjà la France dans ce domaine et la Chine talonne l’Hexagone, aujourd’hui 3e mondial.
La commission recommande donc de « favoriser une approche française coordonnée et efficace dans les enceintes européennes ou internationales de normalisation ». L’objectif ? Peser dans l’établissement des diverses normes pour pousser celles déjà adoptées par les acteurs français et ainsi ériger des barrières à l’entrée sur le marché favorables aux entreprises tricolores. Celles-ci seraient d’autant mieux armées que les coûts liés à leur adaptation à ces nouvelles normes pourraient être pris en compte dans l’assiette du CIR.
Le cadre imaginé pour l’intelligence économique tricolore
Pour implémenter cette stratégie, la commission a imaginé un canevas administratif très détaillé. Elle suggère ainsi de créer un Secrétariat général à l’intelligence économique, placé sous l’égide de Matignon. Il s’appuierait en région sur des sous-préfets référents, des comités régionaux et des correspondants en gendarmerie. Les CCI et les comités stratégiques de filière seraient eux aussi être mis à contribution pour évangéliser leurs adhérents.
Alors, et maintenant ? Lors de l’examen du rapport en commission, le sénateur socialiste Frank Montaugé a résumé les enjeux pour faire fructifier ces propositions. « La question qui se pose désormais est celle de la suite à donner à ce travail. Le sujet mériterait selon moi une proposition de loi, la plus partagée possible. »
Les 23 propositions
- Concevoir une stratégie nationale d’intelligence économique (SNIE), pilotée par un Secrétariat général à l’intelligence économique (SGIE)
- Pérenniser l’abaissement du seuil de déclenchement du mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France
- Contrôler le respect des engagements des investisseurs étrangers lorsqu’ils conditionnent la validation de l’investissement
- Instaurer un débat annuel sur l’intelligence économique au Parlement sur le contrôle des investissements étrangers en France
- Doter chaque organisme de recherche d’un schéma directeur pour l’intelligence économique
- Définir les sujets prioritaires en termes de normalisation
- Intégrer les dépenses des TPE-PME liées à l’adaptation à la normalisation dans l’assiette du CIR
- Cartographier les menaces économiques, technologiques et scientifiques dans un rapport annuel
- Renforcer le cadre déontologique applicable aux fonctionnaires et aux contractuels ayant occupé des postes dans des domaines souverains qui migrent vers le privé
- Inscrire l’existence du SGIE dans la loi
- Former des correspondants en intelligence économique au niveau des compagnies de gendarmerie
- Constituer un réseau de sous-préfets référents à l’intelligence économique
- Créer dans chaque région un comité régional à l’intelligence économique (CRIE)
- Introduire un volet intelligence économique dans tous les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII)
- Introduire un volet intelligence économique dans les contrats d’objectifs et de performance entre l’État et CCI France
- Instaurer une formation à l’intelligence économique dans les écoles de la fonction publique, d’ingénieur, de commerce et les filières universitaires de recherche, de sciences sociales, de relations internationales et de droit
- Développer la formation continue à l’intelligence économique
- Systématiser la recherche d’informations en intelligence économique avant la prise de décision, en particulier par l’Agence des participations de l’État (APE)
- Intégrer un volet intelligence économique aux contrats des comités stratégiques de filière
- Créer une conférence biannuelle dédiée aux acteurs de l’intelligence économique
- Créer un programme national de recherche en intelligence économique
- Soutenir le développement de la filière française de la conformité
- Créer une « réserve nationale » au service du patriotisme économique de la Nation