Lorsqu’au milieu des années 2010 les appétits chinois se sont portés de manière un peu trop visible sur les entreprises françaises, l’Hexagone a préféré prendre ses précautions en révisant les modalités de contrôle des investissements étrangers. Un premier pas pour « sortir de sa naïveté » vis-à-vis des ambitions chinoises, selon les termes de Jean-François Huchet, président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
En 2021, c’est l’Europe qui hausse le ton en gelant l’accord sur les investissements qu’elle avait mis en place avec la Chine. « Les Européens considéraient que l’accord était asymétrique et pouvait leur être défavorable à long terme », explique Victor Warhem, économiste au sein du Centre de politique européenne (cepFrance).
Imposer ses propres normes
Dans ses réflexions sur la nécessité de limiter ses dépendances à la Chine – mais aussi aux États-Unis ou à la Russie – l’Europe a pris conscience qu’elle pouvait, comme l’Empire du Milieu, utiliser l’accès à son marché comme monnaie d’échange. « L’Europe utilise la régulation pour conditionner l’accès à son marché et en même temps créer des normes mondiales », explique John Seaman, chercheur du Centre Asie de l’Institut français de relations internationales (Ifri). Ce qui crée nécessairement quelques « frictions », comme lors de l’adoption du RGPD ou, plus récemment, du Digital Market Act et du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce dernier est emblématique de la nouvelle stratégie européenne : faire d’une pierre deux coups, d’un côté en se positionnant comme un fer de lance de la transition écologique et de l’autre en limitant l’accès au marché européen aux importations chinoises fortement émettrices de carbone.
« Ces mesures peuvent être comprises comme protectionnistes mais elles constituent des réponses à des questions que tous les pays se posent. L’Europe oriente ainsi le développement de l’économie mondiale et des nouvelles industries émergentes avec des normes qui lui sont favorables », estime John Seaman.
Diversifier les sources d’approvisionnement
Ces réactions défensives ne sauraient toutefois remplacer une stratégie plus ambitieuse pour limiter la dépendance de l’Europe aux importations chinoises. C’est chose faite avec la mise en place cette année du projet Global Gateway « visant à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports ». En développant des partenariats avec des pays présentant « des valeurs démocratiques » – la première condition d’un partenariat – l’Union européenne espère diversifier ses sources d’approvisionnement. « Les entreprises européennes peuvent rester en Asie mais préférer le Vietnam, la Thaïlande ou l’Inde à la Chine, par exemple, imagine Jean-François Huchet. Elles peuvent aussi quitter les zones lointaines et revenir là où le contexte politique et militaire est plus sûr, en Europe. » Le président de l’Inalco observe en effet « un retour du politique » dans la prise de décision des entreprises qui prenaient jusqu’alors grand soin de « découpler » leurs activités économiques du contexte politique.