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O. de Maison Rouge, avocat : « En France le contrôle des investissements étrangers oscille parfois entre souplesse et laxisme »

Olivier de Maison Rouge
© Olivier de Maison Rouge

Quand le gouvernement refuse ou impose des conditions à un investissement étranger, les sanctions en cas de manquement ne sont pas toujours appliquées, nous apprend l’avocat d’affaires Olivier de Maison Rouge.

Le cadre du dispositif de contrôle des investissements étrangers n’a cessé de s’élargir depuis sa création. Les moyens à disposition, eux, pas vraiment. Dans ce contexte, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a-t-il les moyens de ses ambitions ? Le gouvernement dispose-t-il des outils nécessaires pour s’assurer que les conditions imposées aux investisseurs étrangers sont respectées ? Les sanctions potentielles sont-elles vraiment appliquées ? Réponses de l’avocat d’affaires Olivier de Maison Rouge, auteur de l’ouvrage Gagner la guerre économique.

Bercy impose parfois des conditions aux investissements étrangers qui concernent les activités stratégiques. Quelles peuvent être ces conditions ?

Olivier de Maison Rouge : Elles peuvent être multiples, mais ont toujours le même objectif : préserver l’outil de travail. Cela doit se comprendre aussi bien au niveau social qu’en termes de propriété intellectuelle. Il existe plusieurs manières d’éviter que les brevets ne soient siphonnés par l’étranger, ou de s’assurer que le savoir-faire et les technologies françaises soient préservés. Le ministère peut demander qu’une entreprise isole la branche d’activité soumise à un investissement de manière que le reste de son activité soit protégée, par exemple. Il peut aussi s’agir de conditions de maintien de l’emploi, ou de s’engager à ne pas délocaliser. Tout cela se décide au cas par cas : la loi ne distingue pas précisément les conditions qui peuvent être imposées.

En cas de non-respect de ces conditions, quelles peuvent être les sanctions appliquées ?

O. d. M. R. : Il existe plusieurs types de sanctions, selon les cas. Si l’opération est toujours en cours, elle peut être suspendue. Si elle est déjà réalisée, il peut y avoir une suspension des droits de vote ou d’accès aux dividendes. Bercy peut aussi retirer son autorisation, ou appliquer des sanctions financières. Celles-ci peuvent s’élever jusqu’au double de l’investissement réalisé, 10% du chiffre d’affaires réalisé hors cible, ou 5 millions d’euros pour une personne morale.

Comment vérifier que les conditions de Bercy soient bien appliquées ? Existe-t-il des dispositifs de contrôle ?

O. d. M. R. : Il est difficile de vérifier que les conditions sont bien respectées. Il s’agit surtout d’un engagement moral, de bonne foi – même s’il est contractuel. Le ministère peut exercer un droit de regard et désigner un mandataire chargé de représenter l’investisseur pour faire respecter les engagements… en théorie. Personnellement, je n’ai jamais vu cette dynamique à l’œuvre. Dans d’autres pays, comme la Chine ou les États-Unis où l’administration est très présente dans les entreprises privées, c’est différent. Mais en France, l’administration n’a pas beaucoup de moyens en matière de coercition – que l’on s’en réjouisse ou non reste à l’appréciation de chacun. Le cadre est bien défini mais l’on ressent un manque de compétences.

Que faudrait-il pour que les conditions imposées soient respectées ?

O. d. M. R. : C’est aussi une question d’intention. La logique a changé : auparavant, il n’y avait pas vraiment de débat. C’était binaire, « noir ou blanc ». Aujourd’hui, l’ambition du gouvernement est de « développer l’attractivité française », et donc de ne pas se fermer complètement aux investissements étrangers. C’est d’ailleurs le signal envoyé par la loi Pacte, qui permet de créer une forme de dialogue entre les investisseurs étrangers et Bercy. Un investisseur peut désormais se justifier, expliquer pourquoi il n’a pas obtempéré ou respecté le choix du ministère. En quelque sorte, on lui laisse le champ libre pour s’expliquer avant qu’un service ne réexamine son cas. La démarche peut aboutir à des sanctions ou à une autorisation a posteriori, mais sous couvert de souplesse, l’État fait parfois preuve de laxisme.

Le contexte est donc favorable aux investisseurs étrangers ?

O. d. M. R. : Certains signaux semblent s’opposer : d’un côté, on allonge la liste des activités concernées par les contrôles, de l’autre, on assouplit les mécanismes de contrôle. D’une certaine manière, on ménage la chèvre et le chou. L’affaire Photonis est une bonne illustration de cette dynamique. En pleine crise sanitaire, le fonds français Ardian, majoritaire, souhaitait vendre sa participation au sein de la société française à Teledyne, une entreprise américaine. Il faut savoir que Photonis fabrique entre autres des lunettes à vision nocturne qui équipent notamment les forces spéciales. La cession aurait tout à fait pu avoir lieu. Ce sont le battage médiatique autour de cette acquisition et certaines conditions imposées par Bercy qui ont poussé Teledyne à reculer. Mais le ministère n’a émis aucun refus formel ! Ce n’est évidemment pas ce que l’on retient de cette histoire : quelque part, ce cas est une manière de « rassurer » l’opinion en montrant que « l’État fait son travail ». Mais en réalité, ce n’est pas ce qui s’est passé.

Biographie

Avocat, docteur en droit, auteur, et professeur, Olivier de Maison Rouge a été amené au cours de sa carrière à défendre des entreprises confrontées aux tentatives d’espionnage économique et ingérences économiques (notamment pillage technologique. Il a développé une véritable doctrine en matière de contre-mesures juridiques et de protection du patrimoine informationnel. Il est ainsi l’un des spécialistes de la sécurité des actifs incorporels et de leur valorisation. Il contribue ainsi à l’élaboration de références et standards en matière de sécurité économique et de souveraineté en matière d’informations sensibles.

Membre du comité d’éthique du syndicat français de l’intelligence économique (SYNFIE), vice-Président de la Fédération Européenne des Experts en Cybersécurité (EFCSE) et coprésident de la commission Renseignement et sécurité économique de l’ACE (Avocats conseils de l’entreprise), il est l’ancien rapporteur du Groupe de travail (ministère de l’Économie et des Finances / SISSE) sur la transposition de la directive n°2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires. Il est aussi membre associé de Lex-Squared.

Bibliographie

Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique et une indépendance stratégique, VA Editions, 2022

Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience, VA Editions, 2020

Cyberisques. La gestion juridique des risques numériques, LexisNexis, 2018

Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique. VA Editions, 2018

Le droit du renseignement – renseignement d’Etat, renseignement économique, LexisNexis, coll. Actualité, 2016

Le Droit de l’intelligence économique. Patrimoine informationnel et secrets d’affaires, Lamy, coll. Axe Droit, 2012.

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