Le quinquennat qui s’annonce doit mieux armer notre pays dans la guerre économique multiforme et permanente. Après des décennies de déni puis des années marquées par le nécessaire renforcement de la sécurité économique (en particulier avec la création du SISSE et la montée en puissance dans ce champ de la DGSI et de la DRSD), il est plus que temps de passer réellement à l’offensive. D’un point de vue économique, les chiffres de notre balance commerciale sont particulièrement alarmants dans une France qui s’est désindustrialisée tout en accroissant sa dépendance à des transfusions d’argent public largement obtenues par la voie de l’endettement. De manière plus globale se pose la question pour notre pays de la puissance et donc de sa place réelle dans le concert des nations. Car dans ce domaine, qui n’avance pas recule, et le drame ukrainien nous démontre combien la grille de lecture « temps de paix / temps de crise / temps de guerre » est définitivement révolue. Aussi, la nouvelle grille de lecture stratégique présentée par le Chef d’État-Major des Armées Thierry Burkhard – « compétition / contestation / affrontement » – doit-elle conduire à une révolution dans les esprits et dans les structures.
Retrouver une souveraineté
La guerre vise la domination de l’autre : elle est permanente, létale bien sûr, parfois, mais le plus souvent non létale (économique, juridique, culturelle…). Et dans le nouveau triptyque, la compétition, globale et permanente, doit permettre de « gagner la guerre avant la guerre » rappelle Thierry Burkhard, ou alors… de la perdre. D’où la nécessité de retrouver une souveraineté énergétique, industrielle, alimentaire, sanitaire, etc. Pour y parvenir, il faut comprendre l’importance de la fonction renseignement-anticipation au sein de l’État comme des entreprises. Pour le premier, le renouveau du Haut-Commissariat au Plan a d’ailleurs été une avancée tant il est vrai que l’avenir est autant à construire qu’à prévoir. Pour les secondes, la diffusion de la fonction « intelligence économique » doit être poursuivie et musclée tout en développant la formation des cadres et surtout des hauts dirigeants à la guerre économique. De ce point de vue, la création d’une commission sur la souveraineté au sein du MEDEF est une pierre importante apportée à l’édifice. Mais il en faudra d’autres. Et de ce point de vue, on peut être optimiste car la France ne manque pas d’idées ou de responsables engagés ainsi que le prouve la récente proposition de loi pour un programme national d’intelligence économique portée par la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et soutenu par des politiques de toutes obédiences. L’essentiel y est et transcende fort heureusement les clivages partisans ainsi que le permet le Sénat, assemblée composée d’élus de terrain qui préfèrent agir que subir
Développer un esprit commando
La survie de la France comme puissance qui compte va ainsi demander urgemment de développer un esprit commando, c’est-à-dire une agilité combattante dont le cœur est l’usage stratégique de l’information. Car, qu’est-ce que l’intelligence économique sinon une dynamique collective visant l’agilité par un usage stratégique de l’information : renseignement-anticipation, sécurité économique active et influence. Mais à condition que ces trois dimensions soient articulées et travaillent ensemble sous la direction d’un État-Major qui ait une stratégie et une doctrine. Cette dernière, qui a longtemps fait défaut, existe désormais et le triptyque « compétition / contestation / affrontement » doit être compris comme une invitation à sortir des anciens schémas pour construire une stratégie globale, à l’instar des Britanniques (avec l’initiative Global Britain, par exemple). Mais où est l’État-Major ? Dans cette période de chaos et de délitement, il convient donc de changer de braquet et notamment de promouvoir une réelle politique nationale d’intelligence économique pour l’heure trop centrée sur la défense et la protection d’un patrimoine industriel et scientifique qui tend d’ailleurs à fondre comme neige au soleil. Songerait-on à remporter une compétition sportive en jouant uniquement en défense ? La philosophie surannée de la ligne Maginot est encore trop présente dans les têtes bien qu’elle ait montrée depuis longtemps ses limites. Réagir ne suffit plus, à moins de préférer définitivement subir.
Biographie
Nicolas Moinet est praticien-chercheur en intelligence économique, Professeur des universités à l’IAE de Poitiers et enseignant à l’école de guerre économique. Il est également chercheur associé à l’IRSEM et au CR 451. Auditeur de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice ainsi que de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, il est investi depuis trente ans dans la diffusion de l’esprit de défense. Co-fondateur de l’École de Pensée sur la Guerre Économique (EPGE), il vient de publier avec Raphaël Chauvancy un ouvrage sur l’esprit commando Agir ou subir ? (Dunod) préfacé par le Président du Mouvement des Entreprises De France.