« Plus simple, plus sain, plus sexy. » Quand Charles de Fréminville, DRH de Lucca, parle de la politique de transparence des salaires qui règne dans l’entreprise, ça fait envie. On en vient presque à se demander pourquoi la démarche n’est pas généralisée. En France, le sujet continue de crisper les entreprises. À tel point que le Conseil de l’Union européenne a adopté une directive sur la transparence salariale, à transposer dans le droit français sous 3 ans.
Égalité
Une entreprise qui publie sa grille de salaires – même si ça n’est qu’en interne – assure une certaine égalité entre les membres de son équipe. Dans une chronique parue dans les colonnes du Monde, la professeure d’économie Pauline Grosjean indique ainsi que « la publication de tous les salaires permet aux employés de prendre conscience des discriminations potentielles, et d’exiger l’application du principe d’égalité salariale pour un travail égal. » C’est aussi l’un des arguments avancés par Charles de Fréminville. « Tout le monde sait ce que tout le monde gagne. On évite l’effet ‘radio-moquette’ : pour un métier donné, un collaborateur sait à quoi il a droit. Côté RH, ça évite de gérer les problèmes qui pourraient être assimilés à de la discrimination. » Un enjeu qui reste d’actualité : dans un focus publié en mars 2023, l’Insee chiffrait à 4% l’écart de salaire entre femmes et hommes à temps de travail et postes comparables en 2021.
Simplicité
Charles de Fréminville assume aussi la simplicité et le gain de temps pour l’entreprise. « Cacher une donnée est toujours plus complexe à gérer. Gérer les accès à l’information, changer les droits lorsqu’une personne change de poste… La transparence des salaires peut éviter tous ces sujets et faire gagner du temps à l’administration. » Pour une entreprise qui conçoit des logiciels destinés à automatiser et simplifier le quotidien administratif des organisations, l’initiative a du sens.
Attractivité
Même si la tendance est à la hausse – en mars 2023, 49,5% des offres d’emploi publiées sur Indeed mentionnaient la rémunération, soit 2 fois plus qu’en janvier 2019 – trop peu d’offres indiquent clairement le salaire associé à un poste, préférant se concentrer sur les avantages sociaux disponibles au sein de l’entreprise. Pourtant, l’information est cruciale pour les candidats, surtout en période d’inflation. « De nombreuses sociétés mettent en avant leurs valeurs. La transparence est ancrée dans nos rituels : cela facilite aussi la discussion en entretien », estime Charles de Fréminville. Pourtant, toutes les offres d’emploi de Lucca n’affichent pas de rémunération. Le DRH assure néanmoins que le sujet est abordé dès les premiers entretiens.
En interne, cela crée aussi une certaine forme de loyauté. On connaît son salaire, mais aussi celui que l’on peut viser si l’on évolue.
… et difficultés
Malgré tous ces atouts, Charles de Fréminville a conscience que la pratique n’a pas sa place dans toutes les entreprises. Car elle entraîne son lot de questions, à commencer par celle des augmentations. « Nous avons mis en place un comité des ambassadeurs. Celui-ci est composé d’un représentant de chaque département. Ils se réunissent pour faire évoluer la grille salariale. » Une initiative plus facile à adopter « dès la création » d’une entreprise, de l’aveu du principal concerné.
Un constat qui se retrouve dans l’étude sur la transparence des salaires du cabinet WTW. Ainsi, plusieurs freins sont évoqués par les entreprises pour mettre en place une telle politique : la disponibilité et la qualité des données (38%), la réaction du CSE (36%) et l’absence d’une architecture claire des emplois (33%).
Au-delà des difficultés de mise en œuvre, Pauline Grosjean soulève certains risques. Selon elle, les grilles salariales privent les salariés de leur « pouvoir de négociation ». Elle note que, selon une étude publiée dans Econometrica 91, « le pouvoir est transféré aux entreprises, et permet à celles-ci de maintenir les salaires au plus bas possible ». En l’occurrence, légiférer sur la transparence des salaires aurait tendance à faire baisser de 2% le salaire moyen réel.
Dans un pays où parler d’argent reste tabou, le sujet n’a pas fini de faire débat.