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Face à la concurrence, les fonds tricolores musclent leur sourcing

Loupe sur gratte-ciel
© Iman Warsame via Unsplash

Sous la pression de l’arrivée d’acteurs étrangers, les fonds d’investissement français cherchent à élargir leur sourcing. Leur mission : trouver des pépites inédites sans revoir à la baisse leurs critères de sélection.

« Nous avons un souci de rapidité et d’efficacité. » Les deux mots choisis par Thomas Rival, partner de la branche Start du fonds d’investissement Evolem, illustrent bien les mutations à l’œuvre dans le capital-risque. En 10 ans, le nombre de fonds actifs en France a explosé – le site Infocession recense plus de 320 structures, rien que pour les acteurs français. En 5 ans, les montants levés par les start-up ont été multipliés par 5 et le nombre d’opérations a augmenté de 36%, selon les relevés annuels effectués par EY dans son Baromètre du capital-risque. En 2021, le montant cumulé des levées de fonds a pour la première fois dépassé les 10 milliards d’euros pour culminer à 11,6 milliards, en croissance de 115% par rapport à 2020. Cette envolée est notamment le fait d’investisseurs étrangers, qui ont mené les opérations les plus importantes, laissant craindre à terme des prises de contrôle capitalistiques

Éviter l’effet troupeau

Cette effervescence impose aux fonds d’investissement français de nouvelles manières de travailler. « Nous devons aller plus vite, être plus efficaces. Mais nous sommes structurés pour l’être », assure Thomas Rival. « Il nous faut décider plus vite à partir de faisceaux d’indices moins matures », appuie Éric Burdier, fondateur du fonds early stage Axeleo Capital. Ce qui peut conduire à un « effet moutonnier ». Soit parce que certains marchés, où la taille critique est déterminante, ne peuvent voir émerger qu’une poignée d’acteurs, voire un seul selon l’expression anglaise consacrée « winner takes all », soit parce que les investisseurs cèdent à la peur de rater l’opération en or. « Dans certains secteurs, il existe une FOMO (fear of missing out, NDLR) que je n’arrive pas à expliquer », atteste Éric Burdier.
Au risque que des millions d’euros soient investis dans des projets réputés fragiles, comme cela a été le cas dans Sigfox. En janvier, le spécialiste de l’IoT a annoncé son placement en redressement judiciaire, après avoir levé un total de plus de 300 millions d’euros auprès d’investisseurs réputés (Bpifrance, Partech, Eurazeo mais aussi Engie, Air Liquide et Salesforce du côté des industriels) et alors même que de nombreux fonds s’interrogeaient en coulisses depuis plusieurs années sur la solidité de l’entreprise.

Trouver l’aiguille dans la botte de foin

Pour identifier les meilleures pépites et prendre de vitesse les autres fonds, les investisseurs ont fort à faire : le nombre de start-up, et donc de candidats potentiels à la levée de fonds, augmente chaque année de 20%, selon le décompte qu’avait réalisé KPMG en 2020. « On n’attend plus les dossiers, on réalise une chasse pro-active », assure Thomas Rival. À la manière des start-up studios, certains investisseurs « incitent les managers de scale-up à démissionner pour créer un projet qui a cartonné aux États-Unis », assure le partner d’Evolem. Des fonds comme Evolem, Axeleo ou Jolt ont opté pour des outils technologiques – parfois développés en interne – afin d’industrialiser leur sourcing. D’autres pour le recrutement de collaborateurs dédiés à la veille, afin de repérer le plus tôt possible les dossiers qu’ils estiment être les plus intéressants. Mais comment différencier les torchons et les serviettes ? « Nous vérifions que le champ d’expertise et les compétences de l’équipe fondatrice leur permettront de mener à bien leur projet. Mais aussi que la start-up peut avoir un parcours compatible avec le capital-risque, avec des fonds prêts à investir à chaque tour et des acquéreurs potentiels », égrène Éric Burdier. Un travail de due diligence qui peut conduire à quelques surprises : « il n’est pas rare qu’en nous renseignant sur une entreprise, l’opération ne se boucle pas mais qu’on investisse finalement dans un concurrent ou une entreprise que l’on a scannée lors de cette observation préalable ».

Devenir des experts

Cette veille sert aussi aux investisseurs à se positionner comme des experts dans leurs domaines de prédilection, comme en témoigne le projet du fonds 2050 de constituer une « bibliothèque de connaissances ouvertes » sur les grands enjeux du 21ème siècle. « Pour investir intelligemment et accélérer les bascules de marché, il est essentiel de maîtriser les dynamiques écosystémiques d’une filière, ses nœuds ainsi que les opportunités de disruption », prône sa fondatrice Marie Ekeland. La structure a fait appel à un profil atypique dans le milieu du capital-risque : Guillaume Bregeras, journaliste aux Échos, a ainsi rejoint 2050 en tant que Chief Knowledge Officer.
Une stratégie aussi pour sortir du lot aux yeux des chefs d’entreprise. Car l’abondance de capitaux a modifié le rapport de forces entre dirigeants de start-up et investisseurs. Désormais, les premiers ont le luxe de pouvoir choisir les seconds. « Nous avons besoin de nous différencier les uns des autres, constate Éric Burdier. Il ne faut pas sous-estimer notre marketing. »

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