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Les campagnes inquiètes des conséquences économiques du « zéro artificialisation nette »

La campagne française, avec des champs et un village
© Christian Heitz

Avec un million d'espèces animales et végétales menacées d'extinction, le gouvernement décide d'agir avec l’objectif \"zéro artificialisation nette\". Au programme : freiner l’artificialisation des terres et d’en renaturer certaines. Sur le papier, c'est prometteur. Dans les faits, le programme soulève de nombreux enjeux sociaux dans le monde rural. Un récent rapport parlementaire s’est notamment inquiété que la baisse du volume de constructions neuves ne pénalise le dynamisme démographique et économique des campagnes.

Zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici 2050. C’est l’objectif fixé par la loi Climat et résilience face à la perte de biodiversité alarmante constatée par les scientifiques : aujourd’hui, un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction. Pour y parvenir, plusieurs pistes : renaturer des terres artificialisées, un processus complexe et coûteux, ou… freiner l’artificialisation. Car en continuant à ce rythme, « ce sont 280 000 hectares d’espaces naturels supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030 », alerte le gouvernement. Le programme peine à convaincre, tant une partie des maires considère encore l’expansion foncière comme le signe inhérent à la réussite de leurs mandats. Emmanuelle Wargon, la ministre du logement, parle publiquement de « changement de modèle culturel nécessaire », en assurant que le pavillon avec jardin est un « non-sens écologique ». Pourtant la maison individuelle reste le symbole de l’aménagement territorial dans les zones rurales, où les taux d’artificialisation par habitant sont les plus élevés du pays. Le foncier peu cher attire beaucoup de jeunes ménages primo-accédants, à la recherche d’un cadre de vie plus proche de la nature. Un attrait qui s’est accéléré avec l’exode urbain lié à la pandémie. 

Au-delà des particuliers, le prix du foncier (et l’imposition locale plus avantageuse) des périphéries peut inciter les entreprises à éloigner tout ou partie de leurs activités des pôles urbains. « Des objectifs de lutte contre l’artificialisation mal calibrés pourraient mettre en péril les efforts de revitalisation dans ces territoires », s’inquiètent Christian Redon-Sarrazy (PS), Jean-Baptiste Blanc (LR) et Anne-Catherine Loisier (UDI), trois sénateurs à l’origine du rapport parlementaire Objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires.

Changer de modèles

D’après un sondage OpinionWay réalisé pour l’Union nationale des aménageurs en janvier 2021, 92% des maires interrogés estiment qu’il « faut stopper l’expansion des villes pour préserver les zones naturelles ». Une proportion qui tombe à 52% quand il s’agit de laisser les pouvoirs publics « bloquer des permis de construire sur de nouveaux terrains ». « À mon sens, il faut plutôt voir le ZAN comme une invitation à repenser nos modèles de développement et non pas comme une injonction à arrêter de construire. Il est légitime de questionner l’étalement urbain, vecteur d’inégalités sociales, pour lui privilégier la densification des centres-villes, leur revitalisation », estime Axel Dumont, co-responsable de la commission Habitat et urbanisme chez EELV.

Hausse des prix du foncier

Limiter les terrains constructibles, c’est augmenter le prix du foncier. Et la hausse du prix du mètre carré risque de faire fuir les particuliers, mais aussi les entreprises, amatrices de foncier peu cher dans les zones d’activités en milieu rural. Moins d’activité économique signifierait moins de recettes fiscales pour les mairies. « Cela constituerait un obstacle tant pour l’effort de construction de logements abordables que pour la relocalisation d’activités économiques et la cohésion sociale », projettent les sénateurs. Revoilà le spectre du cercle vicieux de la fracture territoriale. D’un autre côté, l’étalement urbain, qu’il s’agisse de lotissements ou de centres commerciaux, coûte cher aux collectivités locales, contraintes d’investir dans la construction de nouvelles routes, de nouveaux réseaux de transport et d’énergie. « Là encore, il ne s’agit pas de stopper toutes les constructions de zones d’activités mais de juger de leur pertinence écologique et sociale en fonction des territoires. Un énième projet d’entrepôt Amazon sur les dernières terres agricoles franciliennes semble moins utile qu’un projet de parc d’entreprises dans un bassin d’emplois sinistré », nuance encore Axel Dumont.

Des pistes portées par l’État

Pour diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici dix ans, de nombreuses municipalités vont devoir restaurer leur foncier existant, et densifier leurs centres-villes. Ou reconvertir d’anciennes friches industrielles en commerces, en logements, en écoles… Récemment, l’État a consacré plusieurs aides à ces dossiers : le plan France Relance a débloqué des centaines de millions d’euros pour ce type de projets et, avant cela, en 2017, le gouvernement a dédié 5 milliards d’euros à son programme de redynamisation « Action cœur de ville« . Reste à voir si cette dynamique pourra apaiser les élus locaux… et les premiers concernés par ces mesures. Du côté agriculteurs, certains propriétaires pourraient être lésés si jamais les mairies devaient sanctuariser des terres agricoles, et geler l’octroi des permis de construire, alors que nombre de paysans comptent sur la vente de leurs terrains pour assurer leurs retraites. Sans accompagnement public des habitants les moins aisés, l’acceptabilité sociale du « Zéro artificialisation nette » s’annonce compliquée. « L’État va devoir accompagner les collectivités sur le long terme pour assurer un ZAN socialement juste, et ne pas laisser penser aux élus ruraux qu’ils sont seuls à devoir gérer la situation. Pour le moment, il n’y a que des vœux pieux de la part du gouvernement », regrette Axel Dumont. La sobriété foncière, en soulevant toutes ces problématiques économiques et sociales, pourrait bien devenir la nouvelle pomme de discorde entre villes et campagne.

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