La France encadre-t-elle suffisamment les activités de lobbying ? Les révélations estivales du Monde concernant les pratiques d’Uber et de Mediapart sur celles d’Avisa Partners ont remis cette interrogation sur le tapis. Ces activités particulièrement agressives font oublier que l’Hexagone dispose d’un cadre strict en matière d’influence sur les affaires publiques. « Il me semble normal et légitime de réglementer la représentation d’intérêts, ne serait-ce que pour démontrer que les représentants d’intérêts exercent leur activité de manière transparente », appuie Thaima Samman, fondatrice du cabinet Samman, spécialisé en affaires publiques, et présidente de l’Association des avocats conseil en affaires publiques (A-CAP).
Avec deux lois dédiées, dont la loi dite Sapin 2 de 2016, l’inscription obligatoire des représentants d’intérêts sur un registre tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et un code déontologique gravé dans le marbre, la France compte parmi les 3 pays de l’Union européenne à demander autant de garanties aux lobbyistes – avec l’Irlande et la Lituanie.
Ainsi, les entreprises, établissements publics exerçant une activité industrielle et commerciale mais aussi les lobbyistes individuels qui prennent l’initiative d’échanger avec un membre de l’exécutif, un député, un sénateur ou un attaché parlementaire ou le dirigeant d’une administration centrale doivent déclarer leurs activités et s’engager à respecter plusieurs principes éthiques. Au-delà de ce cadre législatif, l’Hexagone s’est aussi doté de moyens conséquents pour vérifier qu’elles soient appliquées : la HATVP peut procéder à des contrôles sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé et a la possibilité de sanctionner les entreprises récalcitrantes ou déviantes.
Hors des frontières européennes, seuls l’Australie, le Canada, Israël, le Monténégro et le Pérou imposent eux aussi autant de cadres à leurs représentants d’intérêts. Beaucoup d’autres ont fait le choix de l’autorégulation en matière d’éthique. Même les États-Unis et le Royaume-Uni, places fortes du lobbying, ne disposent pas d’un code de déontologie.
Des pistes d’amélioration
Les lois françaises tout comme la création de la HATVP ont moins de 10 ans. « Nous avons aujourd’hui un système assez équilibré, constate Thaima Samman, il faut lui laisser le temps de mûrir. » Cela passe notamment par une meilleure information des entreprises et des acteurs publics. « La non-application d’une réglementation provient souvent de sa méconnaissance ou de sa mauvaise compréhension par ceux qui doivent l’appliquer », rappelle l’avocate.
Plusieurs pistes d’amélioration sont cependant déjà sur la table. L’Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL) a ainsi proposé que certains acteurs, comme les associations d’élus ou les cultes, soient soumis aux mêmes obligations de déclaration que les autres groupes d’influence. De son côté, la HATVP milite notamment pour que le critère d’initiative soit supprimé : les « auditions et consultations réalisées à la demande d’un responsable public » devraient alors elles aussi être déclarées dans le registre, comme les actions à l’initiative des lobbyistes.
Un autre enjeu réside dans l’harmonisation des législations à l’échelle européenne. L’Union européenne dispose de ses propres règles supranationales en matière de transparence des affaires publiques pour ses institutions : l’inscription des lobbyistes sur un registre est obligatoire pour qu’ils puissent rencontrer des décideurs européens ; ils sont également soumis à un code déontologique - mais pas de cadre commun aux États membres. Du moins, pour l’instant car la HATVP y travaille activement. Début juin, elle a réuni à Paris 11 autorités d’éthique publique de pays membres de l’UE pour officialiser le Réseau européen d’éthique publique qui disposera, à terme, d’une charte commune.