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En matière d’investissements étrangers, ce qui compte se passe en coulisses

Un homme passant son bras et son chapeau à travers un rideau de théâtre
© MagMos via iStock

Les règles établies par les gouvernements envers les investisseurs étrangers ne découragent pas ces derniers. Pour s’assurer d’obtenir un accord, ils n’hésitent pas à entrer en discussion avec les décisionnaires bien avant qu’une opération ne soit rendue publique.

En 2020, l’Américain Teledyne zieutait la pépite française Photonis, qui fabrique entre autres des lunettes à vision nocturne utilisées par les forces spéciales. Les conditions imposées par le gouvernement français – une participation minoritaire dans Photonis de Bpifrance, des droits de veto concernant les opérations et la gestion des entreprises européennes de Photonis en France et aux Pays-Bas – ont été jugées « impossibles » à accepter. Dans un document transmis à la SEC (Security and Exchange Commission, l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, ndlr), le groupe annonçait qu’« après avoir examiné les conditions proposées et à la suite de discussions supplémentaires avec le ministère de l’Économie, Teledyne a déterminé qu’une acquisition potentielle selon les modalités proposées par le ministère de l’Économie n’était pas faisable. »

Le cas, très discuté dans les médias avant même que le gouvernement ne prenne de décision, fait figure d’exemple. Photonis devient le porte-étendard de la résistance face aux assauts étrangers. À tort, selon certains experts. C’est le cas de l’avocat d’affaires Olivier de Maison Rouge, qui estime que c’est le battage médiatique qui a entouré l’affaire qui a mené l’entreprise américaine à reculer. « Les conditions étaient tout à fait acceptables et le deal aurait pu avoir lieu. La bataille de l’opinion, en revanche, était perdue. »

Pas d’effet de dissuasion

Quand on l’interroge sur le sujet, Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique au sein de la banque d’investissement Saxo Bank, est formel. « Le cadre imposé par Bercy n’est pas clivant pour les investisseurs. Nous n’avons peut-être pas, en France, la mécanique la plus stable », admet-il en opposant le cas de l’Allemagne. « Mais nous n’avons pas non plus la plus fluctuante. Si l’on regarde ce qu’il se passe en Asie ou aux États-Unis, c’est bien plus compliqué. Ce qui existe ici ne restreint pas du tout les investissements », indique celui qui a pour habitude de conseiller les entreprises innovantes dans leur développement.

Les bénéfices d’une communication « pro business »

Au contraire : les multiples annonces et appels du pied du gouvernement à l’égard des investisseurs étrangers auraient même pour effet d’attirer, plus qu’ailleurs, ces derniers. Ainsi, le 17 janvier 2022, la 5e édition de Choose France consacrait l’attractivité de la France. Avec plus de 4 milliards d’euros d’investissements étrangers enregistrés, le gouvernement se réjouit d’un « cru record » qui devra permettre de créer 10 000 emplois directs. Le résultat des baisses d’impôt de production sur les sociétés ou encore de l’adoption de la « flat tax », d’après Bruno Le Maire.

« Il est certain que cette communication très ‘pro business’ peut apparaître en décalage avec les freins imposés par le gouvernement. Sans elle, peut-être que les investisseurs étrangers se poseraient plus de questions. Mais en l’état actuel des choses, et peut-être avec une forme de naïveté, ils sont plutôt séduits par la démarche », constate Christopher Dembik.

Une question de législation, mais aussi de bonnes relations

Dans une interview accordée à Fusions & Acquisitions Magazine en 2021, Grégory Mailly, M&A Director chez JP Morgan rappelait que « dans l’écrasante majorité des cas soumis à un contrôle, on observe un accord assorti de conditions et d’engagements qui ont été discutés en amont entre les parties et l’État. » De son point de vue, les discussions sont anticipées et « le dialogue est simplifié (…) afin d’éviter toute déconvenue. » En d’autres termes : la transaction se joue plutôt en amont et en coulisses qu’au moment où un dossier est déposé. « Il est possible de créer un terrain d’entente favorable à un deal. Le dialogue anticipé ne se traduit généralement pas par un rescrit détaillé, précise-t-il, cependant les signaux sont en général clairs. »

À ce propos, Christopher Dembik estime que le fait politique est souvent plus important que l’enjeu financier. « Il n’est pas rare, avant qu’un deal ne soit officiel, qu’un investisseur confirme la velléité d’opération en allant voir le gouvernement concerné pour la fluidifier. C’est, selon moi, la bonne approche car elle permet aux gouvernements d’assurer un cap en accord avec une stratégie politique. C’est d’ailleurs pour cela que les contours des activités concernées sont parfois flous : il est possible de mettre ce que l’on veut dans la catégorie des investissements stratégiques. » Dans ce cadre, il décrit le dispositif en place comme un moyen actionnable de l’État de se prémunir des « investisseurs indésirables ». Sans désigner de pays en particulier, on peut se pencher du côté des estimations reprises par Grégory Mailly pour se faire une idée de ceux qui seraient concernés… « Il faut noter que les investisseurs étrangers en France sont pour 64% des investisseurs européens, puis 20% d’Amérique du Nord, et seulement 10% d’Asie. »

Faudrait-il conclure que les intérêts politiques sont mieux protégés avec les pays voisins ? Un discours qui n’a rien d’officiel, dans la mesure où les réglementations n’incarnent pas cette hypothèse. La France fait partie des quelques pays de l’Union Européenne à encore considérer les investisseurs des autres États membres comme « étrangers », et donc soumis théoriquement aux mêmes contrôles que ceux qui viennent de plus loin. Officieusement, certains investissements sont plus scrutés que d’autres, estiment les experts.

Mélanie Roosen & Géraldine Russell

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