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Les ingérences informationnelles étrangères menacent aussi les entreprises

Une machine à écrire avec une feuille de papier sur laquelle est écrite "fake news"
© Markus Winkler

L’État s’inquiète : risque-t-on des ingérences informationnelles étrangères ? Le gouvernement s’équipe, mais les experts s’interrogent.

Le 11 octobre, Cédric O, secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques recevait pour la première fois les représentants de plusieurs plateformes numériques et du Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum). Ce service à compétence nationale, créé le 13 juillet dernier, vise à veiller, détecter et analyser les dynamiques de propagation d’informations hostiles venues de l’étranger.

« Notre mission n’est clairement pas de dire si un contenu est vrai ou faux, explique-t-on chez Viginum. Il s’agit de dire si oui ou non, techniquement, il y a des ingérences. » Ce service doit être opérationnel au printemps 2022. Son directeur, Gabriel Ferriole, a pris ses fonctions le 14 octobre. Cet énarque et ingénieur, passé par le Cour des Comptes, doit coordonner le recrutement d’une soixantaine de spécialistes de la tech et des sciences cognitives.

Élections et peur de l’ingérence

Lors de cette première réunion, Cédric O attendait des plateformistes qu’ils présentent les outils mis en œuvre ou prévus afin de veiller à la bonne application de la loi de 2018 sur la manipulation de l’information. Ce texte, critiqué par l’opposition parlementaire et de nombreuses ONG pour sa difficulté d’application, impose aux services en ligne de faire preuve de transparence sur les contenus sponsorisés : si Facebook ou Twitter, par exemple, diffusent un message payé par un tiers, l’identité de ce dernier ainsi que la somme engagée doivent être connus.

« On observe une vraie prise de conscience au niveau de l’État. Elle fait suite aux manipulations russes opérées aux États-Unis en 2016 et aux Macronleaks de 2017 », explique Colin Gérard, doctorant au sein du laboratoire GEODE de l’université Paris 8. « L’inquiétude, c’est que le débat autour des élections soit détourné par des acteurs étrangers. L’État commence à se saisir de cette question mais tout reste assez flou. »

Un défi éthique

De nombreux spécialistes du secteur s’interrogent sur le rôle que jouera réellement Viginum à l’avenir : ministère de la vérité au profit du gouvernement ou organe d’analyse critique des luttes informationnelles ?

Un défi éthique pour l’exécutif. « Pour les démocraties occidentales, il s’agit de lutter contre les ingérences informationnelles sans renier les fondements de nos États de droit », décrypte Nicolas Quénel, journaliste indépendant et auteur de plusieurs enquêtes sur des opérations de manipulation de l’information menées depuis l’étranger. « Il faut lutter sans porter atteinte aux principes fondamentaux de la liberté d’expression ou de la liberté de la presse. Un équilibre délicat qu’il convient de trouver. »

Les autorités françaises ont pour l’instant désigné la Russie, la Chine et la Turquie comme principales menaces. Les manipulations de l’information de ces pays en fragilisant la légitimité du gouvernement, contribuent à nourrir des sentiments de tensions sociales qui peuvent impacter certains secteurs d’activité (boycott des produits français, encouragement aux manifestations dans la durée…). Au-delà, ces acteurs pourraient viser, outre les déstabilisations électorales, à fragiliser l’écosystème économique en favorisant la circulation de rumeurs et de fausses informations sur des entreprises et sur leurs activités.

Les entreprises concernées

« Les entreprises ne sont pas exemptes de ces manipulations de l’information, confirme Nicolas Quénel. Le simple cas des campagnes de Fazze qui visait à dénigrer l’efficacité du vaccin de Pfizer en est un bon exemple. On ne connaît toujours pas le commanditaire de cette opération d’influence, mais on sait qu’elle aurait pu arranger et faire les affaires des autres entreprises ayant un vaccin à promouvoir. » En août dernier, Facebook a en effet identifié toute une série de manœuvres sur son réseau qui visaient à nuire à deux vaccins européens, Pfizer et AstraZeneca.

Les auteurs de cette opération, cachés derrière Fazze, une agence de communication fantoche basée au Royaume-Uni, ont notamment tenté de mobiliser des influenceurs, auxquels ils ont proposé plusieurs milliers d’euros pour faire circuler ces mensonges. L’impact semble être resté limité, certaines des fausses informations étant particulièrement grossières (Astrazeneca s’est notamment vu accusé de transformer les gens en singes…). Ce qui inquiète les autorités, c’est la sophistication et la coordination des messages sur plusieurs canaux, qui font craindre une multiplication et une augmentation de la complexité des actions de ce type à l’avenir.

Un périmètre difficile à délimiter

La sémantique même fait débat. Le gouvernement a retenu le terme d’« ingérence informationnelle étrangère », mais aucune définition précise n’est proposée. « Ce qui distingue à mon sens l’ingérence informationnelle de la mésinformation ou de la malinformation est bien l’intention de nuire ou d’orienter le débat public sciemment pour répondre à un agenda, qu’il soit économique, politique, géopolitique, ou tout cela à la fois », précise Nicolas Quénel. Où s’arrête le lobbying et où commence la manipulation de l’information ?

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