La faillite de 3 banques américaines, dont la très en vue Silicon Valley Bank, puis le rachat dans l’urgence de Credit Suisse ont mis le système bancaire sous pression. Beaucoup d’experts gardent en tête la crise financière de 2008 dont les effets se sont fait ressentir durant de longues années. Alors, faut-il craindre une nouvelle secousse de même ampleur ? Les entreprises peuvent-elles être affectées par cet énième choc ? Comment faire face ? Les réponses de Jean-Édouard Colliard, Professeur Associé de Finance à HEC Paris.
Faillite de la Silicon Valley Bank, rachat de Credit Suisse… Faut-il craindre une crise financière ?
Jean-Edouard Colliard : Je ne pense pas. Nous ne sommes pas à l’aube d’une crise financière comme celle que nous avons connue en 2008. Les banques sont plus solides, mieux régulées et disposent de plus de capitaux. Il n’y a pas de fragilité systémique des banques dans leur ensemble.
Cela étant, il ne faut pas négliger cette fébrilité. On a beaucoup réformé la supervision des banques, on pensait avoir résolu ces problèmes même si certains manquements étaient identifiés depuis un certain temps. On voit aujourd’hui que cela ne suffit pas. Que les agents sur le marché ne sont pas convaincus que les banques soient à l’abri. Même si les problèmes se concentrent sur quelques banques assez particulières, ils montrent qu’elles sont encore vulnérables. Et lorsque la confiance est perdue, il est difficile de la faire revenir.
Qu’est-ce qui a provoqué, ces dernières semaines, une telle fébrilité ?
J.-E. C. : L’inflation a incité les banques centrales à augmenter leurs taux directeurs, ce qui a fait baisser la valeur des obligations et produits à taux fixe. C’est ce qui a fragilisé SVB [qui détenait majoritairement des placements en obligations, NDLR]. Beaucoup de déposants ont retiré leur argent de SVB l’an dernier. Il y a dix jours, Peter Thiel a déclaré publiquement qu’il retirait d’importantes sommes, ce qui a provoqué d’autres retraits massifs. Après le problème rencontré par SVB, les experts ont regardé si d’autres banques se trouvaient dans la même situation, et pouvaient constituer des cibles potentielles évidentes. C’était le cas de Signature, toujours aux États-Unis et de Credit Suisse en Europe.
Ces vibrations du marché correspondent à des problèmes fondamentaux. Les banques détiennent des actifs illiquides, alors que les déposants peuvent retirer leur argent très facilement. Elles ne peuvent pas liquider leurs actifs pour couvrir des retraits massifs et simultanés. C’est donc une question de confiance : si les déposants – qui sont en fait les créanciers de la banque – n’ont plus confiance en elle, c’est là que le problème intervient. Le rôle de la régulation bancaire est de faire en sorte que les banques soient fondamentalement solvables et que les déposants ne remettent pas en question la solidité de leur banque.
Cette fébrilité des établissements bancaires peut-elle rejaillir sur les entreprises ?
J.-E. C. : Il est un peu tôt pour estimer l’impact sur les entreprises en tant qu’emprunteuses auprès des banques. Si cette fébrilité se résout rapidement, l’impact sera faible voire inexistant. Au contraire, si cette fébrilité dure, les banques feront face à des problèmes de liquidités, donc les coûts de financement augmenteront et elles seront d’autant plus réticentes à prêter de l’argent. Ce qui restreindra l’accès au crédit pour les entreprises. Mais nous n’en sommes pas là.
Comment les entreprises peuvent-elles sécuriser au mieux leur trésorerie ?
J.-E. C. : En tant que déposantes, les entreprises doivent estimer leur degré d’exposition. Les dépôts sont garantis à hauteur de 100 000 euros par déposant, par banque. Les petites entreprises, qui présentent de petits dépôts, sont relativement protégées. Si une entreprise détient plus de 100 000 euros dans une même banque, elle est de facto créancière de cette banque et donc exposée à un défaut de celle-ci. C’est ce qui s’est passé avec SVB, dans laquelle des entreprises assez jeunes, qui n’avaient pas une gestion de trésorerie très professionnelle, avaient placé plusieurs millions de dollars. C’est très risqué. Mieux vaut faire appel à plusieurs banques.
Et maintenant, à quoi peut-on s’attendre ?
J.-E. C. : La première étape est de rassurer les créanciers. Pas seulement avec de belles paroles mais en étendant la garantie des dépôts, par exemple. Il s’agit principalement de communication pour remettre tout le monde sur la même longueur d’ondes. Le plus probable est que cela fonctionne. D’autant qu’en Europe, il n’existe pas d’autre cible évidente après Credit Suisse pour ce genre de mécanisme auto-réalisateur. Si la situation devait empirer, la Banque centrale pourrait prendre d’autres actions, comme s’engager à fournir beaucoup de liquidités aux banques pour remplacer les dépôts manquants ou mettre en place un exercice de stress test comme lors de la crise de la dette souveraine. Les banques ont alors publié des données pour montrer leur exposition à la Grèce, l’Italie ou le Portugal. Cela rendrait plus transparent le risque… ou l’absence de risque.
Biographie
Jean-Edouard Colliard a obtenu son doctorat en économie à l’Ecole d’Economie de Paris en 2012 et a travaillé 2 ans comme économiste dans le département de recherche de la Banque Centrale Européenne avant de devenir Professeur Associé de Finance à HEC Paris. Ses principaux domaines de recherche sont la régulation des institutions financières et la microstructure des marchés financiers. Il a été distingué « Meilleur Jeune Chercheur en Finance et Assurance » par l’IEF et la Fondation Scor Pour la Science en 2022.