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Ce que la réforme des retraites va changer pour les entreprises

Une femme âgée, avec les cheveux grisonnants, attend dans une salle d'attente
© ljubaphoto via iStock

Des salariés toujours plus âgés qu'il faut former : la réforme des retraites est-elle une bonne nouvelle pour les entreprises ?

C’est le dossier chaud de ce début d’année. Présentée par Elisabeth Borne le 10 janvier, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron comporte deux mesures majeures : d’abord, le recul progressif de l’âge de départ à la retraite pour atteindre 64 ans en 2030 (contre 62 ans à l’heure actuelle), ensuite, l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans dès 2027 (contre 42 ans aujourd’hui, la précédente réforme prévoyant l’allongement à 43 ans seulement à partir de 2035). L’âge de la retraite à taux plein reste, lui, fixé à 67 ans.

Ces annonces ont provoqué l’ire des syndicats, qui font front contre la réforme et ont organisé une première journée de mobilisation, le 19 janvier 2023. Tous dénoncent le maintien en activité de travailleurs de plus en plus âgés. « Après le travail, ce sera le cimetière », a ainsi lancé à Mediapart Philippe Martinez, leader de la CGT. Seules les organisations patronales soutiennent la réforme. Le Medef fait valoir que les mesures présentées doivent « permettre de préserver durablement l’équilibre des régimes de retraite par répartition ». Même refrain du côté de la CPME : « travailler plus longtemps était une nécessité pour sécuriser et équilibrer les finances du régime dans la durée », souligne le syndicat dans un communiqué.

Une solution à la pénurie de main d’œuvre ?

Les entreprises alertent depuis de longs mois sur la pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs. Maintenir plus longtemps en activité les Français pourrait constituer une solution pour les entreprises qui peinent à recruter. Las, c’est une fausse solution à un faux problème, estime Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique de Saxo Bank. « La pénurie de main d’œuvre va s’accentuer du fait de la démographie mais sera compensée par les nouvelles technologies et notamment les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle », note ainsi l’économiste.

Encore pire, les travailleurs seniors ne seront probablement pas les mieux placés pour superviser ces évolutions technologiques. « On assistera à une dichotomie inexorable entre l’évolution technologique et la main d’œuvre très qualifiée », ajoute l’économiste. Avec des technologies qui évoluent de plus en plus rapidement, les travailleurs les plus expérimentés ne seront plus forcément les plus qualifiés pour prendre en main les nouveaux outils. Or, avec des besoins réduits de main d’œuvre, les entreprises préféreront se concentrer sur les travailleurs qui maîtriseront le mieux ces nouvelles technologies. « Ce sera un arbitrage purement rationnel », conjecture l’expert.

L’épineuse question de la formation

Reste que les entreprises pourraient former leurs seniors, justement pour garantir leur employabilité. Là encore, l’équation économique ne plaide pas en leur faveur. D’une part parce que « la productivité des seniors n’est pas forcément plus élevée [que celles des salariés plus jeunes] alors qu’ils ont un salaire plus élevé », souligne Christopher Dembik. Les entreprises qui cherchent à optimiser leurs coûts pousseront donc les plus anciens vers la sortie. D’autre part parce que « former des gens plus âgés prend plus de temps »… alors même qu’ils utiliseront moins longtemps les compétences durement acquises. Difficile donc d’imaginer les entreprises investir massivement pour former les seniors, toujours plus seniors du fait des réformes successives pour repousser l’âge de départ en retraite.

Le Medef sait le sujet sensible, comme en témoigne cet engagement pris en réaction à la réforme : « les entreprises joueront leur rôle et sont prêtes à se mobiliser pour l’emploi des seniors ». Mais cela sera t-il suivi d’effet ? « Aujourd’hui, la problématique des seniors n’est précisément pas considérée comme une problématique par les entreprises, regrette l’économiste de Saxo Bank. En France, les entreprises recourent 2 fois moins à la formation que les pays nordiques. »

Faire appel à la responsabilité des entreprises

Alors l’emploi des seniors est-il une cause vouée à l’échec ? Pas nécessairement. Pour motiver les entreprises à se mobiliser sur la question, le gouvernement a dégainé une arme qui a déjà fait ses preuves en matière d’égalité femmes-hommes : un index seniors obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 300 salariés, qui permettra de distinguer les bons élèves – et d’épingler publiquement les mauvais. Mais cet outil pourrait n’avoir qu’une portée limitée. « Il ne touche que les grandes entreprises, qui sont déjà un peu plus responsables que les autres, soupire Christopher Dembik. Et il existe tellement d’index sur tellement de sujets que cela n’a plus vraiment d’impact. »

Pour autant, l’économiste convient que c’est ce sujet de responsabilité qui parviendra à faire bouger les lignes. « Les investisseurs sont attentifs à la thématique ESG et cherchent à ce que les entreprises correspondent à un idéal de responsabilité vis-à-vis de la société. » Le recrutement de seniors pourrait ainsi rejoindre la liste des politiques d’inclusion que les entreprises déploient aujourd’hui à l’égard des personnes issues de minorités ou des travailleurs handicapés. Mais le chemin est encore long : à peine 1 senior sur 2 (56%) de plus de 55 ans travaillait en 2021. Et à partir de 60 ans, ce taux chute inexorablement.

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