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Raphaël de Vittoris (Michelin) : « Pour résoudre une crise, mieux vaut faire appel aux praticiens qu’aux prétendus experts »

Raphaël de Vittoris
© Xerfi

Il faut s’y faire : les crises sont protéiformes. Et pour y survivre, pas question de cantonner sa stratégie à de grands principes figés : les entreprises doivent accepter d'évoluer. Chaque année.

Depuis plusieurs années, Raphaël de Vittoris apprend à naviguer entre les crises. Celles-ci sont de plus en plus difficiles à catégoriser : leurs implications sont tout de suite multiples. Pour cette raison, il valorise assez peu les théories qui permettraient d’expliquer comment y résister à coup sûr. Explications.

Comment intervenez-vous sur les différentes crises du groupe Michelin ?

Raphaël de Vittoris : Mon poste de group crisis manager a été créé en 2015. À l’époque, il s’agissait plutôt de profiter des « temps de paix » pour former les équipes. Mais le monde a changé : il est devenu instable. Un des problèmes des entreprises est qu’elles cherchent à développer des stratégies stables dans un régime turbulent. Selon moi, une telle approche est comparable à vouloir cultiver des terres sans se soucier des saisons. Nous nous retrouvons dans une situation où de trop nombreuses entreprises utilisent les mêmes leviers d’optimisation qu’il y a quelques années alors que tout le système a changé. Elles sont encore beaucoup à délocaliser, à amenuiser leurs stocks, à externaliser les expertises… Aujourd’hui, j’ai l’opportunité d’avoir une implication directe sur le terrain : je peux être sollicité pour tout type de crise, quel que soit l’endroit où elle a lieu. Il peut s’agir d’un incendie dans une usine, d’une attaque cyber, d’une rupture d’approvisionnement, d’une crise sociale ou d’un problème géopolitique qui peut bloquer le sourcing.

Y a-t-il un danger à catégoriser les crises ?

R. d. V. : Il serait inexact de vouloir cantonner chaque crise à une seule thématique. La réalité, c’est qu’elles ont toutes plusieurs dimensions. Une crise qui éclatera à cause du non-respect des règles antitrust aura par exemple des conséquences juridiques, économiques, sociales ou médiatiques. De même, il serait réducteur de parler de la crise du Covid-19 comme d’une crise purement sanitaire : elle a des implications en termes de mobilité, de sécurité, d’économie ou de souveraineté. Le risque, c’est surtout de catégoriser les méthodologies. Ce serait inadapté au monde moderne. Mon rôle est d’être un facilitateur : d’identifier les bons experts, en interne et en externe, de les faire monter à bord et cohabiter avec d’autres pour résoudre les crises. Mais attention : quand on parle d’expertise, la situation n’est pas exactement la même qu’il y a 30 ans. Aujourd’hui, tout le monde peut aisément se considérer expert de quelque chose. La crise du Covid l’a bien montré : d’un coup, nous avions 70 millions d’épidémiologistes. Et quand tous les experts prennent la parole en même temps, et qu’ils ne sont pas d’accord entre eux, ça crée beaucoup de confusion.

Miser sur l’expertise, c’est justement l’un des principes des organisations à haute fiabilité (HRO). Diriez-vous que les entreprises doivent s’en inspirer ?

R. d. V. : Oui… et non. Le problème avec les HRO, c’est que personne n’a cherché à les redéfinir depuis les années 90. Les technologies ont beaucoup évolué. Par ailleurs, les organisations censées être HRO ont montré des failles, ces dernières années. Elles sont supposées être davantage soumises aux accidents majeurs et d’être pourtant capables d’en éviter la survenue. Que dire, alors, des crashs aériens qui ont secoué les compagnies aériennes ces dernières années, du Concorde à la Germanwings ? Ou des catastrophes nucléaires de Fukushima, de Tchernobyl ou de Three Miles Island ? Il faut admettre que le concept de HRO, au bout de trois décennies, doit se confronter aux tristes manifestations du réel.

Les HRO sont-elles (déjà) dépassées ?

R. d. V. : Pas forcément. C’est un modèle qui fournit des règles simples qui satisfont aussi bien les académiciens que les professionnels. Aujourd’hui, ils nous apparaissent comme des évidences, mais à l’époque, c’était la première fois que ces principes étaient ainsi énoncés. Ce que je préconise, c’est donc de s’éloigner de la théorie pour plonger à fond dans la pratique. Le savoir des anciens n’est pas toujours applicable au monde moderne. Les vrais experts, ce sont les praticiens. Si ces derniers font des recommandations, il faut les écouter. Je recommande aux entreprises de réfléchir leur identité en plusieurs dimensions : quelle approche doivent-elles adopter en fonction de leurs départements ? Une approche antifragile ? Résiliente ? Horizontale ? Le plus important, c’est aussi d’envisager sa structure à un instant T, et ne pas considérer qu’elle est ensuite figée. Une stratégie pourra s’avérer bonne une certaine année, et obsolète la suivante. Il faut donc être capable de démystifier la théorie, car parfois, elle ne passe pas l’épreuve des faits.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises en temps de crise ?

R. d. V. : Il faut embrasser la réalité avec humilité, essayer de comprendre son environnement, et accepter de faire des paris. Il faut adopter des principes sains et simples si l’on veut pouvoir les sophistiquer au plus près du contexte. À l’inverse, des principes trop précis définis en amont d’une situation ne trouveront aucun écho en temps de crise. Il faut garder une marge de manœuvre et allonger la liste non exhaustive des principes des HRO avec des principes personnels et idiosyncrasiques.

Biographie

Group crisis manager de Michelin depuis 2015, Raphaël de Vittoris est aussi enseignant et chercheur en sciences de gestion sur les problématiques de gestion de crise, gestion des risques, communication de crise, négociation de crise et biais cognitifs en situation de crise. Docteur en sciences de gestion et qualifié maître de conférence, diplômé d’un master en physiologie en environnement extrême, d’un master en administration d’entreprise et d’un master en hygiène, sécurité et environnement, il enseigne dans divers masters et il est membre du board de l’Institut d’études des crises et d’intelligence économique et stratégique de Lyon 3 et est l’auteur de Surmonter les crises : idées reçues et vraies pistes pour les entreprises, paru aux Editions Dunod.

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