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Quels sont les principes des organisations à haute fiabilité ?

Une femme faisant une présentation à ses collègues dans un bureau
© Jason Goodman via Unsplash

Se préoccuper des erreurs et des défaillances, favoriser les expertises… Le succès des organisations à haute fiabilité et leur résistance aux crises reposent sur 5 principes. Quels sont-ils ?

Au début des années 90, les universitaires américains Karlene Roberts et Karl Weick ont théorisé ce qui faisait la force et la résistance des organisations à haute fiabilité – high reliability organizations en anglais, désignées par l’acronyme « HRO ». Les HRO, ce sont ces organisations qui évoluent dans des environnements périlleux. Hôpitaux, aéroports, centrales nucléaires… Comment expliquer que, malgré les risques constants, les dégâts et les accidents graves soient limités ?

D’après Karlene Roberts et Karl Weick, ce serait grâce à un mode de fonctionnement particulier. Le principe ? Récolter un maximum d’informations, à toutes les strates de l’organisation, les connecter les unes aux autres et les utiliser à bon escient pour prendre les meilleures décisions possibles.

Les 5 principes des HRO

1er principe : se préoccuper des erreurs et des défaillances

Le premier principe pour éviter les accidents, c’est d’avoir conscience qu’ils peuvent exister. Il ne faut pas se voiler la face, et s’assurer de pouvoir détecter les premiers signes d’échecs, s’en préoccuper, afin de déployer les efforts nécessaires pour les éviter si possible. L’idée, c’est qu’un « gros problème » n’arrive jamais tout à coup. Il est en général précédé de problèmes plus anodins ou de petites anomalies, qui, s’ils étaient détectés à temps, pourraient permettre de désamorcer les grosses difficultés. Il ne faut pas considérer l’erreur comme taboue : son signalement doit être encouragé.

Par exemple : en 1992, une explosion dans la mine de Westray au Canada tue 26 mineurs. L’enquête révèlera de nombreuses défaillances en termes de règles de sécurité, liées à des pratiques informelles mises en place par le management. Celles-ci, renforcées par une acceptation tacite des mineurs et une forme de « pression » interne, ont poussé les mineurs à négliger leur propre sécurité. Certains éléments extérieurs ont aggravé la situation : les mineurs étant eux-mêmes fils de mineurs avaient l’impression de pouvoir maîtriser les risques. Le professeur de l’université de Saint Mary (Halifax) David Wicks estime qu’au-delà des défaillances managériales, l’imaginaire collectif, la culture locale et le contexte économique ont contribué au drame.

2e principe : ne pas simplifier

Une fois qu’un échec, potentiel ou avéré, est identifié, les HRO s’attachent à ne pas en simplifier les causes ou les origines. Ainsi, un incident ne sera jamais (ou très rarement) le fait d’une seule personne. Les défaillances sont systémiques et concernent une organisation dans son ensemble. Par ailleurs, il convient d’encourager un dialogue ouvert et respectueux, qui donnerait la voix aux idées dissonantes, afin d’explorer les divergences potentielles.

Par exemple :  en 1989, un Convair 580 de la compagnie aérienne Partnair quitte Oslo pour Hambourg. En plein vol, la queue de l’appareil tremble avant de se détacher du reste de l’appareil, qui devient incontrôlable et s’écrase en pleine mer. Aucun passager ne survit et Partnair doit déposer le bilan après quelques mois. Des spéculations affirment rapidement que l’avion a été abattu par des explosifs, renforcées par des témoignages affirmant avoir entendu un grand bruit en voyant l’avion tomber. Celui-ci s’étant désintégré dans les airs, la théorie de la bombe est reprise notamment par la presse et les discours politiques. Plus tard, un scénario dans lequel l’avion aurait été abattu par un exercice de l’OTAN voit le jour. Il aura fallu une longue enquête pour s’intéresser aux vibrations enregistrées par l’appareil sur plusieurs mois. Un examen des dossiers de maintenance de l’avion a révélé que lors d’une révision, un mécanicien avait découvert une usure sur un boulon maintenant l’aileron vertical. Le boulon remplacé ainsi que les trois autres présents sur cette partie de l’avion ont été examinés par les enquêteurs. Verdict : les trois boulons étaient contrefaits, et avaient subi un traitement thermique incorrect pendant la fabrication. Ils ne pouvaient supporter que 60% de leur résistance à la rupture prévue.

3e principe : être sensible aux opérations

Les systèmes ne sont jamais statiques, monolithes et linéaires. Par essence, ils sont dynamiques. Plus une organisation est complexe, plus il est important de comprendre comment chaque élément qui la compose réagit par rapport aux autres. Il est aussi crucial de comprendre que chaque action ou opération peut entraîner une réaction, ou avoir une incidence sur une activité éloignée de l’organisation. Tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise doivent se sentir concernés par les activités et opérations de l’entreprise afin que chacun participe au maintien d’une attention renforcée.

Par exemple : en 1984, à Bhopal en Inde, un accident chimique survient à la suite de l’explosion d’une filiale de la firme américaine Union Carbide, qui produit des pesticides. Ce sont 40 tonnes de produit toxique (isocyanate de méthyle) qui seront déversées dans la ville, causant la mort de plusieurs milliers de personnes. Le P-DG de l’époque Warren Anderson fut accusé de « mort par négligence ». L’origine technique de la catastrophe semble être le lavage d’un tuyau à grande eau. En dépit des consignes de sécurité, l’opérateur et le superviseur en charge de l’opération auraient oublié d’isoler le tuyau à nettoyer du reste de l’installation. Le réservoir d’isocyanate de méthyle s’est rempli d’eau jusqu’à l’explosion.

4e principe : s’engager vers la résilience

La résilience, c’est la capacité d’une organisation à absorber les tensions tout en préservant son activité dans l’adversité. Il s’agit donc de développer des capacités d’improvisation. Mais pas seulement. Être résilient, c’est pouvoir faire preuve d’agilité et se remettre en service après des événements inattendus. Enfin, c’est prendre du recul sur les événements passés, et en tirer des leçons pour apprendre et grandir afin de prévenir et de contenir de futures erreurs.

Par exemple : entre 1984 et 1995, le Bristol Royal Infirmary (BRI), unité de chirurgie cardiaque pédiatrique, est pointé du doigt pour ses mauvaises performances – alors qu’au début des années 80, l’équipe chirurgicale en place avait une performance comparable à celle des autres unités du pays. Au cœur du problème : un refus de modifier son fonctionnement alors que les autres unités améliorent leurs performances en continu. Il aura fallu le déclenchement d’une enquête en 1996 suite à la demande de nombreux parents pour que la situation évolue. Un rapport publié en 2001 a montré l’importance de modifier la gouvernance de l’hôpital.

5e principe : favoriser toutes les expertises

Le 5e principe des HRO, c’est de considérer l’ensemble de l’organisation comme autant d’expertises. Il faut donc être capable de faire confiance à celles et ceux « qui font » au quotidien ou qui possèdent la meilleure connaissance d’un sujet, même si ces personnes ne sont pas haut placées dans la hiérarchie. En acceptant que l’expertise et l’expérience priment sur la hiérarchie, il s’agit ensuite de faire appel aux principes de l’intelligence économique, et de faire circuler l’ensemble des connaissances et des informations pour prendre les décisions les plus éclairées possibles.

Par exemple : en 1999, un avion-cargo de la Korean Air s’écrase après 60 secondes de vol. L’enquête menée révélera une défaillance de l’horizon artificiel du commandant, mal réparé avant le décollage. Signalée par une alarme, la défaillance a été ignorée par le commandant que ne prit en compte que son instrument. Le commandant a par la suite incliné l’appareil de 90 degrés… croyant être à 2 degrés. La défaillance, mineure, a été aggravée par une réaction inappropriée de l’équipage : le copilote, au lieu de prendre les commandes, a préféré respecter l’autorité du commandant de bord plutôt que de le contredire.  

Autant de principes qui peuvent s’appliquer aux entreprises du secteur privé : les récentes crises secouent toutes les organisations, sans réelle distinction, et ont des conséquences diverses mais concrètes sur les entreprises. En 2019, McKinsey identifiait les HRO comme des structures capables de se démarquer de la concurrence. Une pandémie et une guerre en Ukraine plus tard, au-delà de l’avantage concurrentiel, le sujet pourrait bien être un enjeu de survie.

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