Alors que l’Europe cherche à renforcer la protection des données personnelles, le Royaume-Uni prend la tangente… Dans un projet de réforme présenté le 10 septembre, le gouvernement britannique propose de ne plus imposer de contrôle humain sur les algorithmes d’intelligence artificielle (IA). Pourtant, ces derniers peuvent parfois avoir des conséquences décisives pour les citoyens lorsqu’ils sont utilisés – pour l’octroi d’un prêt bancaire, par exemple.
Alléger les contraintes juridiques
Avec cette réforme, qui fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 19 novembre, l’idée est d’alléger les contraintes juridiques pour renforcer sa compétitivité. « Maintenant que nous avons quitté l’Union Européenne, nous avons la liberté de créer un nouveau régime de données (…) pour libérer leur pouvoir à travers l’économie et la société », a annoncé le secrétaire d’Etat britannique au numérique, Oliver Dowden, dans un communiqué, espérant ainsi « ouvrir un nouvel âge d’or de croissance et d’innovation pour le Royaume-Uni. »
Avant le Brexit, le Royaume-Uni était soumis au RGPD (Règlement général sur la protection des données) comme tous les autres pays de l’Union Européenne. L’article 22 instaure un contrôle humain pour toutes les décisions automatisées pouvant avoir des conséquences importantes. Une entreprise britannique recourant actuellement à des algorithmes d’IA doit donc « examiner chaque cas d’utilisation », et vérifier les différents régimes de protection des données, détaille la consultation. « Cela crée des doutes pouvant entraîner une réduction potentielle de l’innovation. » Tout en soulignant que la prise de décision automatisée est « susceptible d’augmenter considérablement dans de nombreux secteurs au cours des prochaines années », le gouvernement avance que « le contrôle humain peut, à l’avenir, ne pas être réalisable ou proportionné. »
1,3 milliard d’euros d’économies espérées
L’objectif du Royaume-Uni est clair : favoriser ses entreprises nationales pour « accéder aux marchés étrangers, tout en attirant des investissements de l’étranger par des entreprises qui apprécient (…) l’environnement réglementaire du Royaume-Uni », précise l’étude d’impact du gouvernement. Si l’ampleur de cette mesure précise n’est pas chiffrée, l’étude estime le bénéfice net pour ses entreprises à environ 1,45 milliard de livres sterling (soit 1,3 milliard d’euros) sur 10 ans grâce à l’ensemble de la réforme. Ces économies espérées pour les entreprises britanniques devraient découler entre autres d’une « réduction de leurs charges et des coûts de conformité. »
« Si cette réforme aboutit, l’avantage compétitif conféré serait limité essentiellement aux sociétés britanniques et non-européennes », analyse Romain Perray, avocat associé du cabinet McDermott Will & Emery, spécialiste de la protection des données. eLes entreprises britanniques, par rapport au reste de l’UE, pourraient séduire plus facilement des sociétés implantées dans d’autres régions : Amérique du Nord, Asie… »
Pas de quoi inquiéter l’Union Européenne
L’Union Européenne doit-elle pour autant redouter une vague massive de délocalisation d’entreprises vers le Royaume-Uni ? Pas vraiment. « À moins que ces entreprises étrangères ne veuillent cesser complètement d’opérer en UE, il n’y aurait aucun avantage à se tourner vers le Royaume-Uni, affirme Martha Bennett, analyste et vice-présidente du cabinet Forrester à Londres. Le RGPD est devenu le modèle sur lequel de nombreux pays, même les États-Unis, tentent de calquer leurs règles de protection des données. » Sans oublier que « l’un des plus grands défis de l’adoption de technologie d’IA est le manque de confiance des employés dans ces systèmes », complète Enza Iannopollo, analyste chez Forrester à Londres. Et de poursuivre : « La suppression de la surveillance humaine pourrait encore diminuer cette confiance et devenir un obstacle à l’adoption de technologie d’intelligence artificielle. De manière générale, les entreprises se méfient de plus en plus des systèmes dits de ‘boîtes noires’. »